La Charte d’Amiens (1906)

Comment fut élaborée la Charte d’Amiens ?

« L’Anarcho-syndicaliste » supplément au n°184, novembre/décembre 2014
– Neuvième Congrès de la CGT, Amiens, du 8 au 16 octobre 1906.
Reproduction intégrale de la discussion du quinzième Congrès national corporatif.

Sommaire

P3 et 44 : En guise d’avant-propos…
P4 : La question de l’indépendance des organisations confédérées par rapport aux organisations politiques, dans les statuts confédéraux.
P5 : Le projet « d’alliance » des organisations confédérées et du Parti socialiste récemment unifié, présenté par Victor RENARD, au nom de la Fédération du textile.
P5 : L’ordre du jour présenté par Victor GRIFFUELHES (Secrétaire général), au nom du Bureau confédéral, et adopté par le Congrès.
P6 : Rapports entre les syndicats et les partis politiques : intégralité du compte rendu officiel de ce Congrès confédéral, sur cette question de l’ordre du jour.
P36 : Notice biographique des délégués intervenants dans cette partie de la discussion du Congrès, et de quelques autres individus cités remarquables.
P42 : Notice iconographique de quelques délégués et de quelques autres individus cités remarquables.

Extrait de la charte d’Amiens

« … Le congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la CGT. La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe, qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toute les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière. Le congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique : dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.

Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalismes ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale.

Le Congrès déclare que que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait, à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.

Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors, En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. »

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Reproduction intégrale de la discussion du
Quinzième Congrès national corporatif
et Conférence des Bourses du travail

Neuvième Congrès de la
CGT – CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL
8-16 octobre 1906

Comment fut élaborée
la « Charte d’Amiens »


Victor GRIFFUELHES : Secrétaire général
Émile POUGET : Secrétaire de la Section des Fédérations
Georges YVETOT : Secrétaire de la Section des Bourses du Travail

A propos du document présenté ici :

La seule source utilisée pour préparer ce document est le compterendu officiel du 9ème Congrès de la Confédération générale du Travail, 15ème Congrès national corporatif, publié sous la responsabilité du Bureau confédéral de la C.G.T. après le Congrès de 1906.
Le document présenté ici comporte l’intégralité de la discussion sur la question mise à l’ordre du jour à la demande des responsables nationaux de la Fédération du textile. La reproduction de chacune des séances a été respectée, à l’exclusion des autres questions qui y furent traitées.
Les erreurs typographiques et les erreurs de ponctuation les plus gênantes à la compréhension de la discussion ont été corrigées.
De même, les patronymes des délégués comportaient souvent des erreurs de transcription flagrantes. Elles ont été rectifiées dans la mesure du possible, la liste des délégués participant à ce Congrès n’étant pas exhaustive.

A propos de la notice biographique jointe :

Celle-ci a été rédigée à partir des éléments fournis par le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (dit « Le Maitron »), consulté au Centre d’histoire du Travail de Nantes, auquel nous adressons tous nos remerciements.
Seuls les éléments biographiques relatifs aux responsabilités exercées au moment du Congrès (ou antérieurement), ou aux mandats détenus pour ce Congrès, ont été retenus, afin de ne pas surcharger le contenu de cette notice. Ce qu’il advint par la suite de chacun d’entre-eux à été systématiquement écarté.
Quant aux écoles politiques ou écoles de pensée syndicalistes, auxquelles les délégués se rattachaient, là aussi, seules les informations relatives à la situation du moment ou à la situation antérieure sont mentionnées. Aussi, pour ceux qui étaient notoirement affilié au Parti socialiste récemment unifié, le groupement politique antérieur est mentionné dans la mesure où il est connu. Pour quelques individus particulièrement remarquables, la qualité de guesdiste est conservée, mais devrait-elle vraiment ne l’être que pour ceux-ci ? C’est dans les évènements ultérieurs qu’il faut aller le chercher.


EN GUISE D’AVANT-PROPOS…

ENCORE UNE FOIS SUR LA CHARTE D’AMIENS…

L’année 2014 n’est certes pas une année anniversaire de cette Charte, mais c’est celle du centenaire de sa première mise en cause (voir plus loin).
Lorsque la classe capitaliste renversa la classe féodale (avec le concours déterminant des classes plébéiennes), elle détruisit l’État féodal et la propriété féodale. Elle mit en place son État, en défense de sa propriété. Elle le fit au détriment des intérêts économiques des classes plébéiennes, particulièrement de la prolétaire, lui défendant toute possibilité de s’organiser en tant que classe sociale, par ellemême, pour ellemême : la loi Le Chapelier (1791) d’une part détruisait les institutions du monde du travail féodal, d’autre part interdisait la création d’institutions économiques ouvrières, renvoyant les conflits d’intérêts au seul règlement des situations individuelles par voie judiciaire, via les Conseils de prud’hommes créés en 1806, par l’Empereur Bonaparte 1er, « Protecteur de la République » (sic).
Dans ce contexte les ouvriers tentèrent de créer leurs institutions de solidarité. La création de syndicats, groupements d’intérêts économiques, nécessitait un contexte politique plus « libéral » : une première fois ce fut envisageable sous la « Deuxième République » : en 1849 fut créée à Paris une « Fédération des associations ouvrières » ; puis, sous « l’Empire libéral » de Badinguet 3ème, en 1864, le syndicalisme fut « dépénalisé », mais pas libéré.
Durant la Commune de Paris, l’Association internationale des Travailleurs (A.I.T.) à laquelle on adhérait via une section, et à laquelle n’adhérait pas que des prolétaires, voisinait avec une nouvelle « Fédération des associations ouvrières ».
Après la Semaine sanglante, la question de la reconstruction des organisations économiques du prolétariat se posa rapidement (et sur place), tandis que la reconstruction d’associations politiques se posait plutôt chez les exilés.
Dès 1876, des Congrès ouvriers se réunirent : une bataille s’y engagea immédiatement entre les partisans de la collaboration des classes et ceux de l’indépendance de classe. Ces derniers l’emportèrent, mais l’indépendance par rapport aux groupements politiques fut en permanence à
l’ordre du jour. Les Congrès ouvriers mélangeant les groupements politiques et les groupements économiques, cette situation ne satisfit pas ces derniers, qui créèrent, en 1886, la Fédération nationale des Syndicats.
Les syndicats étaient des enjeux au gré des scissions des écoles politiques. Ils participaient souvent aux congrès de l’école politique qui y dominait, plusieurs syndicats du même métier coexistaient sur la même commune. Aussi, la Fé-dération nationale des Syndicats était déjà bien décrépite lorsqu’en 1892 fut fondée la Fédération nationale des Bourses du Travail. Au sein de cette dernière, les manigances des écoles politiques étaient plus difficiles, et il s’avéra qu’une seule en réalité en faisait son activité principale, celle que l’on appelait les guesdistes, autrement dit : les marxistes-authentiques.
En 1893, la Fédération nationale des Bourses du Travail convoqua un Congrès de fusion à Paris : la Fédération nationale des Syndicats, « guesdisée », n’y fut pas représentée. Ce Congrès appela (diplomatiquement) à la tenue en 1894 d’un nouveau Congrès de fusion, à Nantes, sous l’égide de la Fédération nationale des Syndicats : les syndicats y participèrent massivement, et l’on y vit la débandade de l’école guesdiste. En 1895,
Limoges, la Confédération générale du Travail fut proclamée ; le Congrès, en intégrant à l’article 2 des statuts l’amendement MAJOT – « Les éléments constituant la Confédération générale du Travail devront se tenir en dehors de toutes les écoles politiques » – indiquait clairement le cadre de l’action syndicaliste.
De 1895 à 1902, date effective de la fusion entre une C.G.T qui n’était encore qu’une Fédération des fédérations de métiers, et la Fédération des Bourses du Travail, le développement fut lent. En 1899, Fernand Pelloutier s’était inquiété, dans la Lettre aux anarchistes, des risques que la tentative d’unification des partis socialistes ferait pe-ser sur l’indépendance de l’action syndicaliste. Cette unification ne devint effective qu’en 1905, et c’est à ce moment que les responsables gues-distes de deux fédérations de la C.G.T. (Textile et Céramique) mirent à l’ordre du jour la création d’un organisme de liaison entre le Parti socialiste unifié et la Confédération générale du Travail.

La question de l’indépendance
des organisations confédérées
par rapport
aux organisations politiques,
dans les statuts confédéraux :

Congrès de fondation de la Confédération générale du Travail – Limoges – 1895 :

Article premier : Entre les divers syndicats et groupements professionnels de syndicats d’ouvriers et d’employés des deux sexes existant en France et aux colonies, il est créé une organisation unitaire et collective qui prend pour titre : Confédération générale du travail.
Art. 2 : La Confédération générale du travail a ex-clusivement pour objet d’unir, sur le terrain économique et dans des liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale.
Les éléments constituant la Confédération générale du travail devront se tenir en dehors de toutes les écoles politiques (1).

Deuxième Congrès – Tours – 1896 :

Article premier :
1- Entre les divers syndicats et groupements professionnels de syndicats d’ouvriers et d’employés des deux sexes existant en France et aux colonies, il est créé une organisation unitaire et collective qui prend pour titre : Confédération générale du travail.
Les éléments constituant la Confédération gé-nérale du Travail se tiendront en dehors de toute école politique.
2- La Confédération générale du Travail a exclusivement pour objet d’unir, sur le terrain économique et dans des liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale.

Quatrième Congrès – Rennes – 1898 :

Titre premier :
Art. 1er : Entre les divers syndicats et groupements professionnels de syndicats d’ouvriers et
d’employés des deux sexes existant en France et aux Colonies, il est créé une organisation unitaire et collective qui prend pour titre : Confédération générale du Travail.
Les éléments constituant la Confédération gé-nérale du Travail se tiendront en dehors de toute école politique.
Art. 2 : La Confédération générale du Travail a ex-clusivement pour objet d’unir sur le terrain économique et dans les liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale.

Sixième Congrès – Lyon – 1901 :

But :
Article 1er : La Confédération générale du travail, régie par les présents statuts, a pour objet :
1- Le groupement général des salariés, pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels, économiques et professionnels ;
2- L’unification des efforts de la classe ouvrière pour son affranchissement intégal.
Elle se tient en dehors de toute école politique.

Septième Congrès – Montpellier – 1902 :

Chapitre premier : But et Constitution.
Article 1er : La Confédération générale du travail, régie par les présents statuts, a pour objet :
1- Le groupement des salariés pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels, économiques et professionnels ;
2- Elle groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du Salariat et du Patronat.
Nul ne peut se servir de son titre de Confédéré ou d’une fonction de la Confédération dans un acte électoral politique quelconque.
Amendement déposé par MAJOT, délégué de l’Union des mécaniciens de la Seine, et adopté par 124 mandats sur 150 ; il constitua la première manifestation, au sein de la Confédération générale du Travail, de l’hostilité des syndicats à l’inféodation de leur action économique à l’action politique souhaitée par l’école marxiste (dite « guesdiste » en France).

Le projet « d’alliance » des organisations confédérées et du Parti socialiste récemment unifié présenté par Victor RENARD, au nom de la Fédération du textile :

« Considérant qu’il y a lieu de ne pas se désintéres-ser des lois ayant pour but d’établir une législation protectrice du travail qui améliorerait la condition sociale du prolétariat et perfectionnerait ainsi les moyens de lutte contre la classe capitaliste ;
Le Congrès invite les syndiqués à user des moyens qui sont à leur disposition en dehors de l’organisation syndicale afin d’empêcher d’arriver au pouvoir législatif, les adversaires d’une législation sociale protectrice des travailleurs ;
Considérant que des élus du parti socialiste, ont toujours proposé et voté les lois ayant pour ob-jectif l’amélioration de la condition de la classe ouvrière ainsi que son aff ranchissement définitif ; Que tout en poursuivant l’amélioration et l’affranchissement du prolétariat sur des terrains différents, il y a intérêt à ce que des relations s’éta-blissent entre le Comité confédéral et le Conseil national du Parti socialiste par exemple pour la
lutte à mener en faveur de la journée de huit heures, de l’extension du droit syndical aux douaniers, facteurs, instituteurs et autres fonctionnaires de l’Etat ; pour provoquer l’entente entre les nations et leurs gouvernements pour la réduction des heures de travail, l’interdiction du travail de nuit des travailleurs de tout sexe et de tout âge ; pour établir le minimum de salaire, etc…, etc…

Le Congrès décide :

Le Comité confédéral est invité à s’entendre toutes les fois que les circonstances l’exigeront, soit par des délégations intermittentes, ou permanentes avec le Conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières ;
Mandat est donné aux délégués de la Fédération textile qui la représenteront au Congrès confédéral d’Amiens de soutenir ladite résolution ».

 


L’ordre du jour présenté par
Victor GRIFFUELHES (Secrétaire général),
au nom du Bureau confédéral, et adopté par le Congrès :

« Le Congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la C.G.T. ;
La C.G.T. groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patro-nat… ;
Le Congrès considère que cette déclaration est-une reconnaissance de la lutte de classe qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière ;
Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique :
Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immé-diates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc… ;
Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale ; Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait  de tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat ;
Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant. Sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors ;
En ce qui concerne les organisations, le Congrès décide qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté, la transformation sociale ».

Rapports entre
les Syndicats et les Partis politiques

Séance du 11 octobre – après-midi.
Président : Reisz. Assesseurs : Robert et la citoyenne Delucheux.

Le Président fait la communication suivante :

Au nom des organisations suivantes : Papeteries d’Essonnes, de Ballancourt ; Relieurs papetiers de Dijon ; Travailleurs du papier de Clichy ; Reliure-dorure, Paris, Limoges, je dépose l’ordre du jour suivant :
« Etant donné que l’unité la plus parfaite ne règne pas encore dans le syndicalisme français et qu’il serait désastreux pour les syndicats ouvriers de faire de nouveaux conflits au sein de ces organismes, en créant des rapports immé-diats avec les partis politiques, quel que soit leur nuance,
Considérant, d’autre part, que les militants syndicalistes sont en même temps, et pour la plupart des adhérents des partis politiques, so-cialistes ou autres, que, par là même il leur est facile de manifester sur ce terrain leurs principes d’émancipation sociale ;
Considérant, enfin, que la neutralité la plus absolue, qui est la force et la puissance d’action même de chacune de ces organisations, ne saurait être violée sans porter la désagrégation dans ces deux pouvoirs en présence ; par ces motifs, le Congrès passe à l’ordre du jour ».
Délaine.

Reisz donne lecture d’une question préalable qui vient de lui être remise :

MOTION PRÉALABLE :

Les soussignés :

« Considérant que la polémique qui s’est pro-duite au sujet de la proposition formulée par la Fédération du Textile : “Rapports de la C.G.T, et des partis politiques, a suffisamment éclairé cette question pour qu’il ne soit pas nécessaire de procéder à une discussion au Congrès, et que les syndicats sont en grande majorité réfrac taires, non seulement au principe de la proposition, mais encore à toute discussion de ce genre ; ne pouvant qu’avoir une répercussion dangereuse dans l’organisation syndicale, en même temps qu’elle créerait un précédent mauvais pour l’avenir.
Demandent au Congrès de passer à l’ordre du jour sur la proposition du Textile et cela, sans discussion.

Bled, Fédération horticole, Jardiniers de Paris, Stucateurs de Paris, Sellerie-bourellerie de Paris et Malletiers ; E. Laval, Epiciers de la Seine ; J.-B. Médard, Gens de maison, Paris et Seine ; Baritaud, Maçonneriepierre, Paris ; Bornet, Fé-dération des Bûcherons ; Constant, Bourse d’Orléans ; Tabard, Transports, manoeuvres et manutentions diverses ; Lefèvre, Bijoutiers.
Une autre proposition analogue est déposée :

« La Chambre syndicale des Ouvriers Serruriers en Bâtiment du département de la Seine et les organisations soussignées ;
Considérant que la discussion de cette question serait préjudiciable aux intérêts de classe du Prolétariat organisé,
Demandent : la question préalable et décident de passer à l’ordre du jour ;
Désirant ainsi que les Congrès corporatifs, véritables assises du travail ne s’occupent, dorénavant, que des questions véritablement économiques et corporatives et repoussant énergiquement toute ingérence et affiliation politique quelconque, qui ne feraient que semer la division parmi les travailleurs ;
Laissant ainsi toute liberté de conception et d’agir en matière politique aux syndiqués, en dehors de leur organisation économique ;
Considérant également que les statuts syndicaux mentionnent tous, ou presque tous, qu’aucune question d’aucune école ne sera traitée  dans les organisations syndicales ».

Clément, Serruriers de Paris ; Griffon, Pâ-tissiers de la Seine ; Bruon, Fédération des Menuisiers de Paris ; E.Vénot, Bouchers de Paris ; Blanchart, Dessinateurs, Tailleurs d’Habits, Boî-tiers-Ferblantiers, Métallurgistes de Basse-Indre ; Voiture, Vichy ; Terrassiers, Vichy ; Voiture, Paris ; Voiture, Moulins ; Voiture, Bourges ; Tailleurs de pierres de Vichy ; Tramways de Vichy ; Carriers des Grivats, Vichy ; Voitures Lyon ; Bi-joutiers, Lyon ; Coupeurs-Chemisiers de Lyon ; Maçons de Vichy ; Bahonneau, d’Angers ; L. Mé-nard ; Legouhy, des Litiers de Lyon ; E. Thumon

Robert dit qu’il ne prend pas parti pour le moment, il demande un orateur pour et un orateur contre, sur la question préalable.
La clôture est demandée et votée. Trois minutes seront données à chaque orateur inscrit à ce moment.
Bled dit qu’il a déposé la première motion préalable. Tout le monde connaît la question du Tex-tile. On peut donc se prononcer sur la question préalable. (*), succursales, Mécanique ;
Collet, du Bâtiment Tabard dit qu’en hésitant à savoir comment on de Saint-Brieuc, le Livre et Employés ; P. Beau terminerait le Congrès, il ne doit pas y avoir de
périn, Bourse de Rennes ; H. Gautier, Bourse de question politique à ce Congrès. Il faut donc pas Saint-Nazaire, Métallurgistes de Saint-Nazaire, ser à l’ordre du jour. Il ne connaît que l’unifficaion.
Dessinateurs, Ouvriers du Port, Ouvriers Char cation. Il ne faut pas discuter les questions qui bonniers, Comptables, Employés, Typographes, divisent.
Inscrits maritimes ; Bouchereau, ouvrier métallurgiste ; Gilliard, des Monteurs levageurs, Paris ; Grandsart, Egoutiers de Paris, Cantonniers de Paris, Travailleurs municipaux de Rennes, Personnel des Ecoles de Paris, Personnel non gradé de l’Assistance publique, Service des baux concédés des Eaux de Paris, Egoutiers de Lyon, Chambre syndicale des Chauffeurs-Conducteurs du département de la Seine ; Lefèvre.
Puis une troisième :

« Le Congrès, considérant que s’abstenir d’une discussion constitue toujours un mauvais système, favorable à l’équivoque et aux polémiques dangereuses et prolongées ;
Décide d’entendre la proposition du Textile et de passer à la discussion ». Devilar, délégué, Courtiers Paris ; Employés Troyes et Pézenas.

Bousquet dit que la question est importante. Doit-on accepter la question préalable ? Doit-on discuter ? Au Congrès de l’Alimentation, on a été partisan de l’ordre du jour pur et simple. Un camarade que j’estime beaucoup avait exigé la discussion de cette question. C’est en raison de cela que je suis chargé de discuter la question. Il déclare qu’il discutera avec calme. Il faudra citer des noms ; tâchons de ne pas nous froisser.
Clément dit, qu’aux assises du travail, toute dis-cussion de ce genre doit disparaître de l’ordre du jour. Les journaux bourgeois et autres guettent nos divisions. Ne leur en donnons pas le triste spectacle.
Lévy dit qu’il se refuse à discuter, au nom de ses mandants, qui ne s’inclineront pas devant le vote.
Marie croit qu’on doit examiner si la proposition n’est pas un acheminement vers la violation des statuts.
Cousteau, au nom de ses mandants, déclare qu’il est impossible de marcher la main dans la main avec n’importe quel parti politique.
Doizié : Je dis qu’il n’y avait pas lieu de décider ce matin, qu’on discuterait ce soir, si on est décidé à ne pas le faire. En tout cas, il faudra voter par mandat.
Parvy dit qu’il faut respecter les opinions des autres. Il va examiner les arguments, apportés pour la question préalable. On n’a oublié qu’une chose : dire que les statuts de la Confédération sont toujours révisables. La question, dit-on, est politique. C’est là une question d’appréciation. Il faut tout voir avec courage, avec sang-froid.
Dret, au nom des Cuirs et Peaux dit qu’il est contre la proposition. Mais il craint que dans un temps relativement rapproché, on puisse dire que ceux qui sont contre, ont eu peur. II faut la discuter.
Hamelin dit que personne n’a posé la question préalable. Ce n’est pas sérieux de dire maintenant qu’on ne discutera pas. Le Comité aurait dû ne pas la mettre à l’ordre du jour si elle n’est pas statutaire.
Morgand dit que peut-être les camarades qui sont contre ont peur. Il faut discuter et écouter tous les orateurs.
Delaine dit qu’il ne faut plus qu’on puisse dire qu’on a peur. Tout le monde connaît la question. Il faut la discuter.
Gaillard (*) demande son tour de parole.
Laval dit qu’on s’est plaint, hier, de ce que les rapports n’avaient pas été reçus à temps. Ce n’est pas le cas pour la question. Ici, les mandats sont fermes.
Le Président donne lecture d’un ordre du jour déposé par Broutchoux :

« Le Congrès d’Amiens, considérant que la Fédération du Textile, dans son dernier Congrès national, a déjà porté atteinte à son unité corporative par l’adoption d’une motion établissant des rapports entre le Parti syndicaliste et les partis politiques, déclare passer à la discussion de la proposition du Textile, afin de maintenir l’unité confédérale ».

Bieuler (*) demande la discussion.
Morel dit qu’il repousse la discussion.
Thil : Le Congrès ne doit pas suivre les Conseils municipaux ou généraux où on oppose la question préalable. La question est posée, il faut la discuter.
Luquet : Il devra sortir de cette question la tranquillité pour l’avenir. La proposition n’a rien de syndical. C’est là une proposition politique. A l’avenir, des propositions semblables ne devront plus trouver leur place dans un Congrès ouvrier.
Sauvage regrette que la question préalable ait été posée. Il voudrait que tout le monde soit d’accord pour discuter afin d’être débarrassé, une fois pour toutes, des questions politiques.
Le Président invite au calme.
Renard dit qu’une émotion a été soulevée à propos de cette question, dans le monde ouvrier. Il remercie le Congrès d’avoir montré qu’il voulait aborder la question et de s’être refusé à
l’élaguer de l’ordre du jour. Quel que soit le résultat, nous ne quitterons pas la Confédération. Nous ne ferons pas comme certains, dans la Voix du Peuple, qui déclarent qu’ils s’en iraient si la proposition était votée. La proposition a pour effet d’empêcher la politique spéciale qui se fait à la Confédération. Quand on fait de l’anti-militarisme, quand on fait de l’antipatriotisme, quand on prêche l’abstention, on fait de la politique. Nous avons, dans ce cas, le droit d’introduire notre politique spéciale. Cela est très juste. Le syndicat n’est pas autre chose que ce que la loi a voulu qu’il fut : un organe qui doit défendre les salaires, la dignité des travailleurs, les conditions de vie, etc… Le syndicat ne peut pas sortir de sa sphère sans avoir une épée de Damoclès suspendue sur la tête de ses administrateurs.
La loi sur les accidents, la loi sur le repos heb-domadaire, ne sont-elles pas des lois sociales ? Pouget n’at-il pas approuvé cette loi qui s’étend aux ouvriers inorganisés. Bousquet a dit qu’elle était réformatrice. Pourquoi alors, repousser la loi pour n’accepter que l’action directe et violente.
Dans le Nord, les syndicats achalandent les coopératives, les coopératives aident le mouvement politique. Je sais que la politique n’a pas donné grand chose, mais pourquoi le reprocher aux ca-marades qui ont milité pour qu’elle donne quelque chose ? Dans le Nord, les députés sont choisis en raison de leur valeur. La pièce de cent sous, les soulographies, sont impuissantes. Ce sont des militants qui sont sortis des rangs des travailleurs. Ils remplissent leur mandat. C’est aux travailleurs
prendre leurs précautions. Nous acceptons les subventions, mais nous pouvons nous en passer. Le conseil municipal peut disparaître, les comités sont assez puissants pour que le mouvement ne s’en trouve pas amoindri. Nous avons bâti des maisons qui sont à nous et là, nous sommes chez nous ! Lorsque les gendarmes veulent y pénétrer, nous pouvons les mettre dehors. Nous sommes, dans le Nord, 315 syndicats, 76.000 syndiqués, 12 coopératives fédérées avec 30.000 membres, 300 groupes avec 8.500 cotisants, nous avons de nombreux conseillers municipaux, 8 députés et 105.000 électeurs socialistes. Si partout on savait faire converger ainsi l’action, on obtiendrait de grands résultats. J’ai beaucoup de respect pour les camarades qui sont à la tête des organisations modérées. Mais je suis, moi, collectivisterévolutionnaire. Nous avons, dans nos syndicats, des radicaux, des nationalistes, nous respectons leurs croyances. Mais vous, que faites-vous lorsque vous votez la grève générale expropriatrice ?
Vous ne respectez pas les opinions du radical. Pas plus, vous ne respectez les opinions du natio-naliste lorsque vous faites de l’antipatriotisme et de l’anti-militarisme. Ces choses ne peuvent se faire qu’au groupe politique. Nous faisons de l’anti-militarisme, mais nous divisons le travail. C’est dans nos groupes politiques que cela se passe. Vous demandez tout à l’action directe ! Les Anglais l’ont fait pendant trente ans. Là-bas, dans le Textile, les cotisations sont élevées ; les hommes sont syndiqués dans la proportion de 95% et les femmes dans celle de 75%. Les fileurs Anglais gagnent des salaires plus élevés qu’en France. Dans le Nord il y a différentes catégories de tisseurs à la main, qui gagnent peu, parce que le groupement y manque. Ce qui n’empêche pas ceux qui sont organisés de gagner des salaires plus élevés que ceux qui n’ont pas de groupement.
Les Anglais ont fini par comprendre qu’à leurs grosses cotisations, les patrons pouvaient ré-pondre par des lock-out. Ce qu’ils firent. Les ouvriers furent empêchés de pratiquer le picketing, de faire la propagande en faveur de la grève. Les syndicats furent responsables des actes de leurs membres et condamnés à de fortes amendes.
C’est alors que les travailleurs anglais furent obligés de prendre position dans la lutte politique et ils ont pénétré au Parlement afin de faire tourner la législation en faveur de la classe ouvrière.
Sans mêler la politique dans les syndicats, on peut s’occuper des lois ; on en parlait ce matin, à propos du contrat de travail et d’autres projets. C’est la preuve qu’on ne peut pas s’en désintéresser.
Les ouvriers ont ainsi à barrer la route à l’action patronale sur le terrain politique. Le syndicat ne peut pas tout faire. Qu’on y réfléchisse. Si une situation révolutionnaire se produisait aujourd’hui pourriez-vous, avec vos syndicats actuels, avec vos organisations, régler la production, organiser l’échange ? Non, vous seriez obligés de vous servir de la machinerie gouvernementale.
Nous ne demandons pas de faire de la politique dans les syndicats, nous demandons si vous ne croyez pas utile l’usage du suffrage universel, utiles certaines réformes légales en faveur de la classe ouvrière.
Nous voulons toutes les actions, comme dans le Nord. Nous vous demandons si vous ne voulez pas prendre à la politique ce qu’elle peut vous donner de bon ?
J’appartiens au P.O.F. depuis vingt-cinq ans. J’estime qu’il a fait quelque-chose pour les tra-
vailleurs. Nous croyons qu’il faut faire de l’action syndicale, coopérative et se servir de l’action politique.
Je vais vous donner lecture de notre projet de résolution :

« Considérant qu’il y a lieu de ne pas se désintéresser des lois ayant pour but d’établir une législation protectrice du travail qui améliorerait la condition sociale du prolétariat et perfectionnerait ainsi les moyens de lutte contre la classe capitaliste ;
Le Congrès invite les syndiqués à user des moyens qui sont à leur disposition en dehors de l’organisation syndicale afin d’empêcher d’arriver au pouvoir législatif, les adversaires d’une législation sociale protectrice des travailleurs ;
Considérant que des élus du parti socialiste, ont toujours proposé et voté les lois ayant pour objectif l’amélioration de la condition de la classe ouvrière ainsi que son affranchissement définitif ;
Que tout en poursuivant l’amélioration et l’affranchissement du prolétariat sur des terrains différents, il y a intérêt à ce que des relations s’établissent entre le Comité confédéral et le Conseil national du Parti socialiste par exemple pour la lutte à mener en faveur de la journée de huit heures, de l’extension du droit syndical aux douaniers, facteurs, instituteurs et autres fonctionnaires de l’Etat ; pour provoquer l’entente entre les nations et leurs gouvernements pour la réduction des heures de travail, l’interdiction du travail de nuit des travailleurs de tout sexe et de tout âge ; pour établir le minimum de salaire, etc…, etc…
Le Congrès décide :
Le Comité confédéral est invité à s’entendre toutes les fois que les circonstances l’exigeront, soit par des délégations intermittentes, ou permanentes avec le Conseil national du Parti so-cialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières ;
Mandat est donné aux délégués de la Fédération textile qui la représenteront au Congrès confé-déral d’Amiens de soutenir ladite résolution ».

Voilà tout ce que nous demandons. Il faut entretenir un courant de sympathie entre tous ceux qui défendent la classe ouvrière.
Est-ce que Griffuelhes ou autres n’entretiennent pas certaines relations avec des députés socialistes, lorsqu’une interpellation est nécessaire.
Je réponds au citoyen Latapie disant : il faut plutôt nous entendre avec les radicaux-socialistes, car ils sont plus nombreux à la Chambre.
Oui, ils sont plus nombreux, pour vous mater !..
Quelques voix : Et Briand ? Et Millerand.
Renard : On m’a opposé Millerand. J’appartiens
un parti qui a considéré comme un acte de trahison son entrée dans un ministère.
Briand ? il vous a monté le coup pendant 15 ans ! A vous, mais pas à nous ! Je crois me souvenir qu’à l’enterrement de Louise Michel, cette noble et bonne femme que je vénère, Briand était à côté de vous. Il n’était pas à côté de nous. Et si Zévaès n’avait pas été adoré par nos camarades de l’Isère vous ne pourriez pas nous l’opposer. Dans le Nord, nous ne baisons pas le paletot de nos députés. Si vous marchiez avec nous, aucune force ne pourrait s’opposer au mouvement ouvrier.
David, Ferrier, de Grenoble, protestent ; ils demandent à répondre à cet acte d’accusation à l’adresse du prolétariat de l’Isère qui a toujours su faire son devoir et remplir ses obligations en toutes occasions.
Renard dit n’avoir pas voulu attaquer les camarades présents de Grenoble.
Ceux-ci maintiennent leur droit de défense.
Renard : Vous avez parlé personnalités, j’ai ré-pondu. Vous n’êtes pas plus sûrs de vos hommes, dans le mouvement syndical, qu’on ne peut l’être dans le mouvement politique. Et ce n’est pas parce que mon fusil peut péter par sa culasse que je ne dois pas m’en servir, car 99 fois sur 100 il partira dans la direction de l’ennemi.
J’ai terminé. Si partout on faisait ce que nous avons fait, il n’y a pas de parti qui pourrait résister à la Confédération unie au Parti socialiste. C’est parce qu’il a donné des garanties, parce qu’il veut la suppression du salariat, parce qu’il va comme vous au même but, que nous vous demandons de vous adresser à lui quand son action peut converger avec l’action syndicale.
Mais, quelle que soit votre résolution, nous resterons à la Confédération. Nous ne ferons pas comme ces malheureux qui, battus à notre Congrès, ont menacé de faire une scission. Nous avons fondé, avec vous, l’unité ouvrière. Nous entendons la maintenir avec vous et travailler avec vous à l’émancipation totale du prolétariat.
Le Congrès doit blâmer les tentatives de division qui se sont manifestées avant que la propo-sition n’ait été examinée.
Dhooghe : Je serai un peu long parce que Renard a insisté sur la circulaire envoyée après le Congrès de Tourcoing.
Il lit la circulaire suivante :

AUX TRAVAILLEURS DE L’INDUSTRIE TEXTILE

Camarades,
Les déclarations de vos délégués, d’une part, des polémiques ardentes autant que nombreuses, d’autre part, doivent vous avoir fait réfléchir profondément aux conséquences probables des décisions prises par votre dernier Congrès fédéral. La portée et le caractère de gravité extrême d’une de ces décisions ont du vous plonger dans une embarrassante perplexité. Nous sommes convaincus qu’il y aura gêne dans vos Syndicats, lorsqu’il faudra dire aux ouvriers sans opinion prononcée, tout aussi bien qu’aux travailleurs radicaux ou libertaires, aux ouvriers syndicalistes désintéressés, que la Fédération du tex-tile va, désormais s’occuper de politique, faire de l’agitation syndicalo-électorale, dépenser le meilleur de ses forces à soutenir tels candidats contre tels autres, et limiter son action dite ouvrière et économique à la transmission au Parti socialiste unifié, des vœux et desiderata de vos organisations.
En décidant de mettre la Fédération en rapports constants avec le Conseil national du P.S.U., soit par le moyen d’une organisation permanente, soit par des délégations temporaires, le Congrès, sous l’instigation du Comité fédéral, a commis une grosse faute. En établissant un système de relations continues entre les Syndicats et un parti politique, cette assemblée de vos délégués proclamait que dorénavant il n’y aura place dans ces syndicats que pour les adhérents ou électeurs de ce parti. Et elle invitait implicitement tous les autres travailleurs à s’en retirer.
Cette faute, source néfaste de discorde et de divisions dans les Syndicats, ne doit pas pouvoir vous être imputée, c’est par erreur qu’on la dit conséquente à votre volonté. Il n’est pas possible en effet, que vous ayez, avant le congrès, discuté la question au fond, et assez sérieusement pour en prévoir une solution dans le sens et dans la forme de celle qui a été voulue à Tourcoing, ni les désordres syndicaux qui peuvent en résulter.
Vous êtes trop sincèrement syndicalistes, trop soucieux de l’autonomie syndicale et de votre liberté d’action, pour avoir laissé sciemment mettre vos syndicats à la remorque d’un parti, et introduire la politique aux dissensions élec torales dans vos organisations d’intérêt, politi-quement éclectiques. Vous savez trop bien que les travailleurs n’ont toujours obtenu des patrons que ce qu’ils savaient exiger et prendre ; vous savez trop bien que l’ouvrier ne doit compter que sur lui-même s’il veut s’émanciper et vivre mieux, pour avoir voulu annihiler l’action ouvrière spécifique en plaçant vos syndicats et votre devenir à la merci des forbans de la politique.
Vous êtes, cependant, censés vouloir le contraire et on a dit, avant et après le Congrès de Tourcoing, que vous demandiez à tous les syndicats de France de faire ce que vous entendiez faire vous-mêmes : de lier leurs destinées à celle de l’Unité socialiste parlementaire.
On l’a dit avant Tourcoing, nous le répétons. En effet votre Comité fédéral disposant d’éléments de domination et de prérogatives qu’il serait trop long de discuter ici, s’est permis de faire inscrire en votre nom – deux mois avant que vous puissiez en discuter – à l’ordre du jour du Congrès d’Amiens, la fameuse proposition tendant à éta-blir des rapports entre la Confédérafion et le P.S.U. Sachant qu’ils iraient à Tourcoing, comme Amiens d’ailleurs, les poches bourrues de mandats, et sûrs de l’appui des gros Syndicats so-cialistes du Nord – syndicats composés d’ouvriers appartenant à toutes les corporations : textile, bâtiment, mouleurs, débitants, etc…, – vos représentants fédéraux s’autorisèrent ipsofacto, selon leur bonne volonté, à considérer comme acquis le vote qui allait mettre la Fédération et les Syndicats textiles sous la dépendance des négriers de la politique, et ils jetaient, toujours en votre nom, le brandon de discorde parmi toutes les organisations du pays.
On l’a dit après Tourcoing. On a crié aux prolétaires de toutes les parties du monde que vous aviez décidé, à la majorité de 45 syndicats contre 23, d’entrer en rapports constants avec le P.S.U. Ce qui n’a pas été montré, c’est la manière dont on s’est servi pour obtenir ce vote. Le cumul des mandats des syndicats sincères mais naïfs, imprudents ou mal renseignés a permis au Comité fédéral de se forger sa prétendue majorité. Qu’on en juge : pour les 45 syndicats, Renard avait 12 mandats ; Inghels en avait 9 ; Lepers en avait 4 ; etc… Le vote ainsi obtenu est un vote de surprise qui, à nos yeux, ne peut avoir aucune signification. Etant donnés les sentiments que nous vous connaissons, il est permis de dire qu’un référendum, organisé sur cette question dans la Fédération, ne donnerait plus aux « divisionnistes » du Nord la majorité anormale dont
ils se targuent insolemment aujourd’hui et dont ils ne pourraient ainsi abuser plus longtemps. C’est d’ailleurs par un référendum qu’il eût fallu prendre l’avis des syndicats fédérés sur cette question néfaste de l’introduction de la politique dans leur sein. Puisqu’on ne l’a pas fait avant le congrès de Tourcoing, nous allons, nous, le faire, avant celui d’Amiens où il faudra montrer que s’il y a, dans la Fédération textile, des syndicats politiciens, il en reste cependant qui veulent rester « Syndicalistes » et indépendants de toute secte comme de tout parti.
Camarades du Textile,
Au moment où votre Fédération, malgré l’opportunisme de sa direction, allait être à même, par le nombre important de ses organisations adhérentes, de vous rendre quelques services, on dénature son action, on va la prostituer aux marlous politiciens.
Au moment où l’action de la Confédération gé-nérale du Travail commence à porter ses fruits, au moment où elle a, en conséquence, le plus besoin d’être soutenue et renforcée, afin que les réformes, qu’elle amène, puissent entrer dans la pratique, on va tenter de la détruire.
Si vous le permettez, si vous laissez faire le Comité exécutif de votre Fédération, c’est désormais une affaire entendue, en toute circonstance et à toute occasion, des politiciens étrangers à votre corporation, et souvent à votre classe, se mêleront à vos affaires ; votre organisation fé-dérale sera mise en tutelle et marchera dans le sillage – voire sous la direction – du P.S. Les travailleurs non unifiés seront placés dans l’obligation d’abandonner votre cause et de déserter vos Syndicats.
Disonsle, ce n’est pas là le but que vous vous êtes assignés en vous organisant corporativement ; ce n’est pas là cette besogne tant promise en faveur de l’union de tous les exploités contre tous les exploiteurs, union essentiellement indispensable à l’œuvre d’amélioration de votre sort. Ce n’est pas là faire du syndicalisme, vous le direz, ce n’est pas là ce que vous voulez.
Vous direz cela et dissiperez ainsi le brouillard équivoque dans lequel on voulait vous perdre.
Si vous ne disiez pas que vous êtes pour l’auto-nomie des syndicats et pour l’indépendance de leur action, ce serait désespérant. Oui, ce serait douter à jamais de toute possibilité de suppres-sion du salariat, de libération de votre classe misérablement asservie, s’il suffisait d’un peu de ruse politicienne pour réussir, en un temps donné, à vous faire dévier un mouvement prolé-tarien de rénovation sociale, que ni les patrons  ultra-millionnaires, ni les gouvernants à poigne ou roublards, n’avaient pu canaliser jusquelà.
Mais vous vous direz que « l’Emancipation des Travailleurs ne peut être que l’œuvre des Travailleurs eux-mêmes » et vous ne serez pas victimes du mirage de la politique. Le salut est en vous, vous n’aurez de confiance qu’en vous-mêmes. Vous n’avez pas dans les syndicats, à dis-cuter la question de savoir si les députés de tel parti sont plus aptes que les autres à la défeuse de vos intérêts. Vous ne voulez laisser le soin de cette défense à d’autres qu’à vous-mêmes.
N’est-ce pas là, Camarades, ce que vous pen-sez ? Si, n’est-ce pas. Eh bien, ditesle donc bien haut pour qu’on sache bien que vous n’êtes plus les « taillables et corvéables à merci ».
Pour vous, comme pour nous, le syndicat est une organisation de sauvegarde et de libération. C’est le « Cercle d’Etudes » et le « Comité d’action » du prolétariat, le centre nerveux du mouvement ouvrier. C’est par l’organisation et la lutte syndicales que nous entendons aller vers la liberté et le bien-être, ce n’est que par là, d’ailleurs, que nous croyons qu’il sera possible d’y arriver.
C’est ce syndicalismelà, celui dont les principes furent posés par la Confédération générale du Travail, que nous voulons défendre contre ceux qui, par la division, voudraient les domestiquer. C’est ce syndicalisme là que nous vous adjurons de ne point trahir.
Il vous appartient, Camarades, de dire le dernier mot dans une affaire qui passionne tous les travailleurs. Il vous appartient de dire comment vous entendez voir mener et mener vous mêmes l’Action syndicale dans le Textile. Si vous consentez à ce que cette action soit liée et fatalement subordonnée aux questions électorales ; si vous êtes prêts à faire du syndicalisme en même temps que l’arme de combat des batailles économiques, le bélier puissant dont vous vous serviez pour démolir les dernières bastilles et vous sauver du dernier esclavage : le Salariat.

Nous attendons votre réponse. Pour le Syndicat,
Le Secrétaire : Ch.Dhooghe.

Voilà, camarades, ce que nous avons envoyé avec la circulaire que voici.
Je tiens à montrer combien le camarade Pouget a été prudent.
La partie relative à la démission du syndicat de la Fédération n’a pas été insérée dans la Voix du Peuple. Je reconnais l’action syndicale et coopérative, mais je dénie les bienfaits de l’action po-
litique. Il faut remarquer la qualité des intentions des camarades du Nord, pour leur proposition. Les termes de notre circulaire ne s’adressent à aucun des syndiqués du Nord. Il y a beaucoup de volonté dans la proposition, il n’y a pas de raisons. Il critique l’emploi des 25.000 francs ac-cusés par Renard pour l’action politique. Renard s’est escrimé ici à vouloir unir des choses qui ne le pouvaient pas. L’union ne pourrait servir qu’à avantager exclusivement la politique et à lui subordonner l’action syndicale.
Les résultats obtenus par les camarades dun-kerquois l’ont été parce qu’ils furent énergiques dans leurs revendications.
L’action ouvrière est jugée nécessaire, indispensable au prolétariat pour obtenir son émancipation.
Il y aurait danger à établir quelque rapport que ce soit entre la C.G.T, et les partis politiques ; il fait allusion aux paroles de Guesde. Aucun parti n’a été aussi partisan de l’action légale que le parti socialiste. Nous pouvons craindre que notre action soit subordonnée si nous faisions alliance avec vous.
Vous nous dites que vous ne faites pas de politique, mais tout ce qui ne tend pas à exercer les forces particulières du prolétariat pour la lutte des classes, ne peut que lui être funeste. Pour nous syndicalistes, il faut surtout exercer l’initiative ouvrière.
Nous qui savons les forces dont dispose la bourgeoisie et sachant l’existence du prolétariat dans cette société, il nous semble qu’il y a un anta-gonisme irréductible entre ces deux classes. S’il fallait sous prétexte que notre patron est notre ennemi ne pas négocier avec lui nous n’obtiendrions jamais aucun résultats.
Ce qu’il faut surtout discuter ici c’est de l’utilité ou de la non utilité des relations avec l’Etat. Les libertaires ne veulent pas qu’une tierce personne vienne s’occuper de leurs affaires. S’il nous fallait faire une résolution et accepter le concours de l’Etat, nous resterions couchés. Si nous étions en action de révolution – il faudrait que le prolé-tariat n’ait qu’à compter sur lui-même.
Je regrette que nos camarades du Nord ne songent pas à cette éducation ouvrière.
Je ne ferai pas d’exorde ; je ne conclurai pas sans vous dire : Si vous voulez que vos organisations restent des organisations de lutte, vous ne le ferez pas en y introduisant de la politique.
Je demande au Congrès ce que nous ferons, si vous ne serez pas un arbitre entre nous, car nous allons être contraints de quitter la Fédération, Insistez auprès de nos camarades du Textile pour qu’ils fassent servir leur action à l’émancipation économique de nos camarades. A Roubaix, la situation est épouvantable pour la plupart des ouvriers. Faites donc l’accord entre nous.
Tillet dit qu’il vient, au nom de la Fédération de la Céramique, présenter une proposition qui diffère quelque peu de celle du Textile ; mais avant il tient à déclarer, afin de dissiper certaines in-sinuations qui se sont produites concernant une décision du Congrès de la Céramique, tenu en juillet dernier, repoussant à l’unanimité toute immixtion politique dans les syndicats.
Il est vrai que cette décision a été prise, mais non au sujet de la question du Textile, mais bien au sujet d’un paragraphe que nos camarades céramistes allemands nous proposaient d’insérer dans les statuts internationaux, et qui disait que les Fédérations nationales adhérentes au Secrétariat international devraient respecter et suivre les décisions des Congrès internationaux socialistes.
Tandis que la proposition du Textile n’a été présentée et discutée qu’au sein de la Fédération et organisations y adhérant, où la majorité s’est prononcée pour différer de celle du Textile, la considérant comme prématurée et pas assez comprise dans les masses du prolétariat.
Puis il dit que dans la proposition qu’il présente au nom de la Fédération, il reste bien entendu que toute immixtion politique, quelle qu’elle soit, ne devra pas se produire au sein des organisations, en un mot que les deux organismes devront faire leur action parallèlement l’une de l’autre, sans toutefois se confondre, c’est-à-dire qu’il pourra y avoir entre elles une entente et non unité.
Il donne lecture de la proposition :

PROPOSITION PRÉSENTÉE AU CONGRÈS
PAR LA FÉDÉRATION NATIONALE DE LA CÉRAMIQUE
SUR LA QUESTION DES RAPPORTS DE LA C. G. T. ET DES PARTIS POLITIQUES.

« Le Congrès confédéral d’Amiens :
Considérant que les organisations syndicales poursuivent l’établissement d’une législation qui améliore les conditions de travail et qui perfectionne les moyens de lutte du prolétariat.
Considérant, d’autre part, que si la pression, l’action directe, exercées par les syndicats sur les pouvoirs publics ont une valeur indiscutable, il est au moins aussi vrai qu’elles ne saurait être suffisantes et que l’action menée au sein même des assemblées qui ont pouvoir de légiférer est
un complément nécessaire que, seul un parti politique est en état de fournir ;
Considérant que le parti socialiste – organisation politique du prolétariat – poursuit la réalisation des revendications syndicales et seconde la classe ouvrière dans les luttes qu’elle soutient contre le patronat ; qu’il est donc le parti qui mène cette action complémentaire ;
Le Congrès se prononce en faveur d’un rapprochement entre la Confédération générale du travail et le parti socialiste. Il décide que chaque fois que les deux organisations seront d’accord sur le but à atteindre, l’action des syndicats pourra se combiner temporairement, par voie de délégation avec celle du parti socialiste, sans que ces deux organismes puissent jamais se confondre.
Le Congrès, malgré son désir d’entente, croit cependant prématurée la réglementation des rapports entre les deux organisations par la création d’un organisme quelconque, et préfère s’en remettre aux événements du soin de préparer celui qui sera le meilleur, parce qu’il sortira des faits eux-mêmes.
D’ailleurs, le Congrès, constatant que dans maintes circonstances et dans de nombreux centres l’entente existe, ou est en voie de réalisation, enregistre avec plaisir cette tendance vers l’harmonie des efforts ; fait des vœux pour qu’elle s’accentue et décide d’attendre pour la création du rouage qui faciliterait les rapports de la Confédération générale du travail avec le parti socialiste, le moment ou l’entente entrée définitivement dans les mœurs se sera imposée à tous comme une nécessité évidente.
En attendant, et dans l’espoir que le parti so-cialiste usera de réciprocité, le congrès demande aux militants de mettre fin à des polémiques qui, en divisant les forces ouvrières, en lassant les énergies, servent seulement les intérêts du patronat et du capitalisme ».

Le délégué, J. Tillet.

Bousquet critique la discussion établie par Renard. Il trouve qu’on ne fait pas de politique à la C.G.T. Renard a parlé des lois ouvrières.
Nous sommes tous nés sous toutes et nous subissons toutes les lois capitalistes. Je dis avec Dhooghe que nous ne pouvons pas discuter avec le pouvoir législatif. La politique est impossible dans le Syndicat où les camarades viennent par intérêt ou par éducation. Si on y faisait de la politique, les militants seuls y resteraient. Le parti socialiste m’a fait ce que je suis. Guesde disait que tout homme qui est incapable de défendre ses intérêts professionnels est incapable de défendre des intérêts collectifs. Je conteste au parti socialiste de faire une transformation du système économique actuel parce qu’il n’est pas essentiellement un parti de classe comme l’est le parti syndical. Il y a dans ce parti une antithèse de classe, parce que chez nous, dans les syndicats rouges, nous n’acceptons que des salariés.
Le parti socialiste comprenant des patrons dans son sein, nous ne pouvons faire alliance avec lui. Rappelez-vous la division qui existait à la Bourse du Travail, dans les diverses écoles socialistes. L’accouplement est prématuré car on risquerait de réveiller des haines qui ne seraient pas profitables qu’à la bourgeoisie, les socialistes auraient à faire une œuvre de salubrité. Renard a encore dit que l’anti-militarisme était une question politique ; mais, dans toutes les grèves, nous trouvons des soldats contre nous. Nous sommes obligés de prendre des décisions contre cet état de fait. Voilà pourquoi la question anti-militariste n’est pas politique, mais économique. Nous ne voulons plus faire de révolution politique (où nous ne faisons que changer de maîtres), mais une révolution économique. Les syndicats ne doivent pas rester dans la légalité. Le syndicat ne doit pas être une œuvre de conservation sociale, mais une oeuvre de destruction capitaliste. Il est nécessaire de sortir de la légalité, car la classe capitaliste met immédiatement ses tribunaux au service de la légalité ; plus un état est corrompu, plus on y fait de lois.
Au début de la C.G.T., les socialistes n’avaient pas tant de sollicitude pour la classe ouvrière. Nous avons le droit de nous méfier ; nous sommes une force, on compte avec nous ; nous sommes d’accord et nous ne faisons pas cet accouplement prématuré.
Il termine en lisant l’ordre du jour suivant :

« Considérant que tous les partis politiques, même le Parti socialiste unifié, ne sont, avant tout, que des groupements d’opinions ayant un but primordial, celui de faire élire des membres au Parlement ;
Que dans ces groupes d’affinités, la lutte de classe, base fondamentale du syndicalisme révolutionnaire s’y trouve anéantie par le fait que, patrons millionnaires et prolétaires affamés s’y rencontrent forcément d’accord, parce que, combattant au même plan pour un programme commun ;
Tandis que le syndicat, groupement exclusivement d’intérêts, ne réunit que les éléments d’une même classe en vue d’une transformation
économique, primant toute opinion philosophique, et qui supprimera la classe exploitrice et dirigeante ;
Attendu qu’il découle clairement de ces constatations qu’il existe un antagonisme profond qui s’oppose à toute relation, à toute entente réciproque entre le syndicat ouvrier révolutionnaire et le parti politique ;
Le Congrès, vu les articles fondamentaux de la Confédération générale du Travail et la neutralité politique que doit conserver tout syndicat confédéré, se prononce catégoriquement contre tout rapprochement ou rapports, quels qu’ils soient, entre la C.G.T. et un parti politique quel-conque ».

Amédée Bousquet, Boulangers de la Seine, Boulangers d’Angers, Boulangers de Grenoble, Boulangers de Corbeil-Essonnes, Meuniers de Corbeil-Essonnes, Meuniers de la Seine, Cuisi-niers de Toulouse, Liquoristes de Marseille, Boulangers de Bordeaux ;
Antourville, Encanteurs de Bordeaux, Chocolatiers de Noisel, Charcutiers de la Seine, Dames de cafés-restaurants.
Niel : Je déclare, dès le début, que je serai un peu long et je m’en excuse devant le Congrès. Il m’est impossible de dire en peu de temps tout ce que j’ai à dire contre la proposition du Textile, et j’espère que le Congrès voudra bien être assez indulgent pour me supporter jusqu’au bout.
La question que nous discutons en ce moment est certainement la plus importante qui touche au syndicalisme. C’est la question des questions, peut-on dire, puisqu’elle passionne le prolétariat depuis ses premières tentatives d’organisation et qu’elle se pose simultanément dans tous les pays du monde. Elle met à découvert les points les plus délicats de la lutte que le prolétariat est obligé de mener pour s’émanciper, et pose ainsi la question même du syndicalisme sous tous ses aspects.
Il faut se réjouir que cette question ait été po-sée. Le prolétariat est mûr pour aborder toutes les discussions, même les plus épineuses, et le premier avantage de celle-ci, c’est qu’elle nous aura obligés, les uns et les autres, à préciser la doctrine syndicale, peut-être même à créer la doctrine syndicale, jusqu’ici plus virtuellement consentie que réellement pratiquée.
Cette question n’est pas nouvelle. Elle est née, pour ainsi dire, avec le manifeste communiste d’Engels et Karl Marx, publié en 1848. Ce manifeste proclame la nécessité de la lutte politique, et c’est cette opinion que la lutte politique est supérieure à tous les autres moyens d’action, que nous retrouvons dans toute l’histoire du marxisme ou dans toute la vie du guesdisme qui prétend la continuer.
Dans les statuts de l’Internationale, rédigés sous la dictée, pour ainsi dire, de Marx, en 1865,
Londres, il est dit que les travailleurs doivent se servir de l’action politique. Bakounine et sa fraction combattent ces statuts et leur esprit politique, et cela amène dans l’Internationale tellement de conflits, que cette merveilleuse as-sociation en meurt. De 1876 à 1886, les Congrès ouvriers sont exclusivement politiques, c’est le triomphe du guesdisme. De 1886 à 1895, les syndicats s’étant multipliés et fédérés ; tiennent des Congrès économiques ; mais leur esprit, grâce aux guesdistes qui veulent absolument subordonner l’action syndicale à l’action électorale, est surtout politique. Ceci amène une nouvelle scission,
Nantes, en 1894. En 1896, se tient à Londres le Congrès historique où furent aux prises les politiciens et les syndicalistes. On se rappelle avec quel dédain Guesde lui-même traitait les syndicats à ce Congrès, quand il disait : « Pour faire un syndicat ? Peuh ! c’est pas difficile : il suffit d’acheter un timbre en caoutchouc de 25 sous ! ».
Enfin, aujourd’hui, en 1906, la même question revient, posée encore par un guesdiste. Si j’avais eu quelques doutes sur les intentions de Renard, la persistance et l’obstination avec lesquelles les guesdistes ont toujours essayé de subordonner l’action syndicale, me convaincraient suffisamment. Mais aujourd’hui, le syndicalisme est plus fort que jamais. Il peut subir sans crainte ce nouvel assaut, comme aussi il est obligé d’indiquer de quelle façon il entend vivre en dehors et à côté des partis politiques.
Une voix : Il n’y a plus de parti guesdiste.
Niel : C’est possible, mais il y a encore des gues-distes, et c’est sans la moindre haine, sans le moindre sentiment de mépris à leur égard, que j’expose ce qui a été toujours leur tactique en matière d’action ouvrière.
Du reste, comment pourrais-je en vouloir à ceux qui ne pensent pas ou qui n’agissent pas comme moi ? Qui peut dire qu’il n’y a qu’un moyen d’émancipation, et qui peut dire quel est celuilà ? Je dis même mieux : n’y aurait-il, théori-quement, qu’un seul moyen efficace, que je vous mets au défi de l’employer tous ; la vie n’est pas faite d’uniformité, mais de variété à l’infini. Il y a autant de tempéraments ; d’aptitudes et de goûts, presque, qu’il y a d’individus sur la terre. Et vous voudriez que tous ces différents hommes
agissent de la même façon ?
Non, il peut y avoir, il y a plusieurs moyens d’émancipation. Le syndicalisme en est un comme un autre, meilleur que d’autres, certainement, qui peut même se produire sans le concours des autres, mais qui n’exclut pas les autres.
Pour discuter, ici, impartialement cette question, il est indispensable que, pour un instant nous nous dépouillions, autant que possible, de nos passions politiques. Rien n’est plus difficile que de parler de cela entre militants, parce que les militants ont une tendance naturelle à obéir
leurs passions politiques, plutôt qu’à la froide raison. Ensuite, il faut nous transporter par la pensée au sein même de nos organisations, où nous verrons que si nous sommes parvenus nous-mêmes au point d’arrivée du syndicalisme, beaucoup de nos collègues, ne sont encore qu’au point de départ, et cela nous inspirera d’utiles réflexions sur les dangers que nous ferions courir au syndicalisme en voulant le confondre avec le parti qui inspire nos diverses passions politiques.
D’abord, qu’est-ce que le syndicalisme ?
On peut dire que le syndicalisme est une forme d’action employée par des malades contre le mal – plus exactement par les ouvriers contre les patrons. Le mal, c’est les patrons, c’est-à-dire le patronat, le capitalisme et tout ce qui on découle. Les malades, ce sont les ouvriers. Or, comme on est ouvrier avant d’être citoyen, on trouve chez le salarié l’individu économique avant l’individu politique. Ce qui fait que si sur le terrain politique tous les citoyens politiques ne se ressemblent pas encore, sur le terrain économique tous les ouvriers se ressemblent déjà. Et cela explique que, si l’union de tous les citoyens est encore très difficile, l’association de tous les ouvriers est très possible.
Je m’excuse d’avoir l’air de faire un cours de syndicalisme à des militants qui en savent tous autant que moi. Mais l’occasion est trop belle pour que chacun ici, n’essaie pas de faire comprendre de quelle façon il conçoit le syndicalisme, avec sa forme particulière et ses arguments particuliers.
Le mal dont souffrent tous ces malades, c’est l’injustice sociale qui découle de l’exploitation de l’homme par l’homme, base du régime capitaliste ; ce mal frappe tous les ouvriers d’une fa-çon égale.
Quand un patron veut diminuer les salaires à ses ouvriers, il ne les diminue pas d’un sou à ses ouvriers réactionnaires, de deux sous aux républicains, de trois sous aux socialistes, de quatre sous aux anarchistes, de cinq sous aux croyants, de six sous aux athées, etc… Il les diminue d’une façon égale à tous ses ouvriers, quelles que soient leurs opinions politiques ou religieuses, et c’est cette égalité dans le mal qui les atteint, qui leur fait un devoir de se solidariser sur un terrain où les différences politiques ou religieuses ne les empêcheront pas de se rencontrer. Ce terrain, c’est tout simplement le syndicalisme, puisqu’aussi bien le syndicalisme a pour objet de s’occuper de la question des salaires.
Une fois réunis sur ce terrain de neutralité absolue, les ouvriers lutteront ensemble pour résister une baisse des salaires ou pour en obtenir une hausse ; pour résister à toute augmentation de la journée de travail ou pour en obtenir une dimi-nution ; pour faire obtenir des règlements d’atelier ou des conditions de travail donnant plus de bien-être et plus de liberté ; pour faire respecter leur dignité toujours menacée par l’arrogance de ceux qui ont un coffre-fort dans la tête à la place du cerveau. Enfin, comme cette lutte leur permettra de voir bientôt l’antagonisme irréductible qui sépare les exploiteurs des exploités, l’impossibilité d’en finir jamais si ça ne change pas, ils orienteront leurs luttes vers une transformation sociale, ce qui leur permettra de mettre dans leurs statuts généraux : « Suppression du salariat et du patronat ».
L’action syndicale est donc celle qui s’exerce sur le terrain économique, par tous les ouvriers, contre le mal économique. Ce n’est pas autre chose que l’action directe sous toutes ses formes et tous ses caractères de calme ou de bruits de modération ou de violence ; c’est la pure lutte de classes. Et maintenant, qu’est-ce que l’action politique ? L’action politique, c’est celle qui est inspirée par les préoccupations morales des citoyens, qui voudraient établir entre les hommes des relations sociales conformes à leurs désirs.
Elle est exercée par ceux qui croient que les rapports entre les hommes ne pourront jamais être réglés sans l’Etat ; par ceux qui croient que les réformes ne peuvent venir que de la loi ; par ceux qui affirment l’impossibilité de transformer la société sans faire la conquête des pouvoirs publics par ceux qui veulent aider leur action éco-nomique par l’action de la loi ; enfin, même par ceux qui cherchent dans une lutte contre tous les Etats, la solution à tous les problèmes de la sociologie.
Cette forme d’action n’oppose pas nécessai-rement toujours les hommes des classes différentes. Les groupements qui en découlent sont des groupements d’affinités, beaucoup plus que des groupements d’intérêt social immédiat. C’est ainsi que, sur ce terrain, il peut y avoir des patrons avec des ouvriers, des bourgeois avec des socialistes, des millionnaires avec des pauvres, des riches avec des anarchistes.
Considérée donc, de ce côté, l’action des ouvriers peut se morceler en autant de fractions qu’il y a de conceptions politiques, car si l’accord est facile entr’eux sur la nécessité de se grouper tous contre le mal patronal qui les frappe présentement, il est beaucoup plus difficile sur la nécessité d’une transformation sociale.
Voilà les deux actions avec leur caractère particulier et leurs différences. Peut-on les associer et contracter entre elles une alliance ? Ici se pose le point culminant du débat.
La conscience politique du prolétariat, quel que soit le degré de son développement et de sa clarté, est antérieure à sa conscience économique, La confiance des ouvriers en les moyens politiques est plus ancienne, et encore aujourd’hui plus étendue – plus étendue quant au nombre – que leur confiance en les moyens économiques. Si, quand le syndicalisme est né dans sa forme et son esprit actuels, il avait trouvé une classe ouvrière unanimement d’accord sur la forme politique de son action, la question serait vite tranchée. Le syndicalisme pourrait contracter l’alliance avec cette forme politique commune à tous les travailleurs, et il n’y aurait alors aucun danger de division ou de scission.
Mais quand notre syndicalisme est venu au monde, il a trouvé la classe ouvrière déjà éparpillée dans divers courants politiques, et ce qui rend son action délicate, ce qui constitue le propre de son caractère particulier, c’est qu’il a à opérer son œuvre au milieu de tous ces ouvriers essaimés dans tant de milieux politiques différents.
Si donc vous alliez le syndicalisme à un courant politique quelconque, étant donnée l’extrême susceptibilité des passions politiques, vous écartez, par là-même tous les ouvriers des autres courants politiques, et le syndicalisme manque totalement son but.
D’ailleurs, avec quel courant politique faut-il faire l’alliance ? Avec, celui dont l’idéal est le même que l’idéal syndical, nous répondent les socialistes du Textile. Et c’est cette communauté d’idéal, ajoutent-ils, qui implique la communauté d’action et l’entente organisée.
La communauté d’idéal existe, sans doute, entre les syndicalistes parvenus au point d’arrivée, dont l’éducation sociale est à peu près complète, c’est-à-dire, entre les militants du syndicalisme et le socialisme. Mais nous savons tous que cette communauté d’idéal n’est pas partagée encore par de nombreux syndiqués et ce sont ceux-là qui m’intéressent et que je serais désolé de voir sortir de nos organisations, car j’ai la conviction que si nous savons les y maintenir par une sage neutralité politique dans notre attitude, avant peu de temps ils aboutiront à notre but et partageront notre idéal.
Mais, du reste, il n’y a pas, en politique, que les socialistes qui partagent notre idéal. Il y a aussi les anarchistes. Et que diraient les socialistes si l’on venait proposer, aujourd’hui, une alliance du syndicalisme avec l’anarchisme ?
Coupat : Elle est déjà faite, cellelà, citoyen Niel.
Niel : Si elle est faite, je le déplore ; et tous mes efforts n’auront pas d’autre objet que de la défaire.
Il y a aussi des Universités populaires qui orientent leur éducation vers notre but. Il y a enfin un coopératisme qui poursuit le même but que le syndicalisme. Pourquoi ferait-on l’alliance avec les socialistes parlementaires seuls plutôt qu’avec les autres ?
Je sais bien qu’il y a certains socialistes qui verraient aussi d’un bon œil un accord entre la Confédération et la Bourse des coopératives. Il y en a même qui, à l’instar des Belges – et le Nord n’est-il pas limitrophe de la Belgique ? – affirment que l’action du travailleur doit s’exercer simultanément dans le syndicat, dans le groupe politique socialiste et dans la coopérative à base politique. C’est l’opinion du citoyen Jégou qui, dans une assemblée de la Bourse des coopératives socialistes, disait que l’on ne ferait rien tant que ces trois actions ne seraient pas officiellement associées, et qui disait qu’il porterait cette question au Congrès socialiste de Limoges.
J’en profite, camarades, pour vous mettre en garde contre la proposition d’entente avec la Bourse des coopératives socialistes, proposition portée à notre propre Congrès et qui est de nature, il me semble, à éveiller quelques soupçons. Il semble qu’il y a là un moyen indirect de faire au syndicalisme la déviation qu’il sera impossible de lui faire faire avec le parti socialiste.
Ces mêmes camarades ajoutent : « Le socialisme est un arbre dont les fruits s’appellent : syndicalisme, groupe politique et coopérative ». II résulterait de cela qu’on ne pourrait être ni syndi-qué, ni coopérateur, sans avoir déjà une claire conscience socialiste. Je crois que l’image serait beaucoup plus exacte, renversée : le socialisme
est le fruit d’une bonne éducation préalable dans le syndicat, dans la coopérative et dans le groupe d’opinion. Mais le jour me paraît encore loin où nous pourrons manger ce fruit.
Renard : Dans le Nord, cela est déjà fait.
Niel : Et puis, je pose cette question à Renard : Pourquoi voulez-vous faire l’alliance et non la fusion ? Si l’alliance est possible, la fusion complète l’est aussi. En effet, l’alliance n’est pos-sible, nous l’avons vu, qu’à la condition que tous les travailleurs, ou tous les syndiqués, soient so-cialistes. Si tous les travailleurs sont socialistes, voulez-vous me dire à quoi serviraient, l’un à côté de l’autre, deux groupements ayant mêmes éléments, même caractère, même esprit ? Il n’y a qu’à les fondre l’un dans l’autre et n’en faire qu’un. Ce sera bien plus simple.
Or, vous n’osez pas demander la fusion, parce que vous la sentez impossible. Pour les mêmes raisons, j’affirme que l’alliance est aussi impos-sible. Vous reconnaissez vous-même que tous les syndiqués ne sont pas encore socialistes, et que les deux actions distinctes sont utiles. Dans l’intérêt de votre thèse, l’alliance n’est pas plus possible que la fusion, parce qu’elle chas-serait de bons éléments des syndicats, et l’action syndicale en serait fortement anémiée. Au contraire, n’y at-il pas intérêt socialiste, et même révolutionnaire ou anarchiste, à ce que le syndicat puisse recueillir dans son sein le plus grand nombre possible d’ouvriers ?
L’alliance est donc impossible avec le courant socialiste, comme avec tout autre courant politique.
Mais si l’on ne peut pas créer l’état d’alliance avec le parti socialiste, doit-on créer ou entretenir à son égard l’état de guerre ?
Ce n’est pas un secret pour personne qu’il y a guerre, actuellement, entre les deux éléments syndicalistes les plus militants : socialistes et anarchistes. S’il en fallait une preuve nouvelle
toutes celles que je vais donner, on la trouverait dans certaines attitudes et dans certaines paroles de ce Congrès même.
Quand nous nous tournons du côté des anarchistes, on nous dit : « Ce sont les socialistes qui ont commencé ! ». Et quand nous nous tournons du côté des socialistes, on nous répond : « Ce sont les anarchistes qui ont commencé ! ». Qui a commencé exactement ? Je n’en sais rien ; et bien malin serait celui qui le pourrait dire. Cette question, c’est l’éternel casse-tête philo-sophique de la poule et de l’œuf. Est-ce la poule qui a fait l’œuf ? Est-ce l’œuf qui a fait la poule ? Je ne me charge pas de le débrouiller. Il me suffit de constater que l’état de guerre est un fait, pour affirmer que ce serait un crime ouvrier de le continuer ; ne pouvant déterminer qui l’a déclarée le premier, il faut absolument, dans l’intérêt supérieur du syndicalisme, que les deux adversaires déposent les armes en même temps.
Les anarchistes entretiennent l’état de guerre, quand ils font de la propagande abstentionniste dans les syndicats. Cette propagande abstentionniste est tellement considérée par les libertaires comme l’exercice d’une opinion politique, que l’un d’eux, ici présent, et non des moins sympathiques, le camarade Monatte, disait hier qu’on avait tort de leur reprocher d’être allé faire de la politique anarchiste dans le Nord, « puisqu’ils n’y étaient pas allés faire de la propagande anti-électorale ».
Ils expliquent le droit de faire cette propa-gande abstentionniste en disant que leur politique est de principe pur et non de personnes. Que diraient-ils si, en période électorale, et sans s’occuper le moins du monde des candidats, les socialistes, ou les républicains, ou les réactionnaires qu’il peut y avoir dans les syndicats, proposaient au syndicat une simple discussion de principe des divers programmes politiques ?
Les anarchistes entretiennent encore la guerre, quand ils décident ou proposent, avant même de savoir quelle conduite ils tiendront, que tous les syndiqués ayant un mandat politique quelconque, seront exclus de tous les postes de confiance dans le syndicat. Je connais pourtant, certains ouvriers, conseillers municipaux, qui font d’ex-cellents fonctionnaires syndicaux. Et ce n’est pas parce que Basly aura eu une attitude dans le syndicalisme minier, qu’il faut jeter l’anathème sur tous ceux de nos camarades ouvriers qui auront un mandat politique. « C’est une mesure préventive », disent les libertaires, sans se douter peut-être, de tout ce qu’il y a de contradictoire dans ces paroles, pour des hommes qui se plaignent toujours – avec raison – des mesures préventives que les gouvernements prennent souvent contre eux…
La guerre est aussi entretenue par les libertaires, quand ils lancent l’épithète de « politiciens » à tout propos ; comme la suprême flétris-sure à l’adresse de camarades qui ont encore une foi sincère en la politique.
Un délégué : A vous entendre, on dirait qu’il n’y a que les anarchistes qui soient coupables de tous les méfaits.
Niel : N’ayez pas peur, le tour des socialistes va venir !
Le Président : N’interrompez pas l’orateur, si vous voulez qu’il puisse distribuer aussi aux so-cialistes leur volée de bois vert.
Niel : Enfin, les anarchistes entretiennent la guerre, quand ils insultent tous les élus politiques, après s’être servis d’eux pour obtenir des subventions ou des faveurs pour eux ou leurs amis.
Ces camarades prétendent justifier leur attitude en disant que le syndicalisme suffit à tout, et que puisqu’ils consacrent eux-mêmes toute leur activité au syndicalisme, les autres n’ont qu’à faire comme eux et envoyer toute leur politique à la balançoire.
Il serait bon, pourtant, qu’ils se missent d’ac-cord entre eux. L’un d’eux, après avoir narré un fait divers quelconque, écrivait dans un des derniers numéros du Libertaire : « Ce qui prouve, une fois de plus, que l’éducation économique que donnent les syndicalistes ne saurait suffire à pré-parer des hommes nouveaux, totalement libérés des préjugés sociaux soigneusement entretenus par l’État, l’Église et l’École dans les cerveaux des malheureux ».
Ce libertaire affirme donc que le syndicalisme ne saurait suffire et que le travailleur doit compléter son éducation ailleurs. Mais alors, chacun doit être libre de compléter son éducation dans le groupe socialiste, le groupe libertaire ou ailleurs. Dans sa misère sociale, l’ouvrier est pris par le ventre, par le cœur et par l’esprit. Que le syndicalisme ait pour principal et plus immédiat objet de lui permettre de se défendre contre la misère du ventre – la plus sensible de toutes – c’est entendu. Mais on ne doit rien reprocher à celui qui cherche à se garantir ailleurs contre les misères du cœur ou de l’esprit. Mais les socialistes aussi entretiennent la guerre.
Ils l’entretiennent quand ils perpétuent l’œuvre de division de leurs devanciers, en tentant par tous les moyens de noyer le syndicalisme dans leur politique particulière. Ils ne peuvent pas dire qu’ils ne sont pas conscients de la gravité de leur acte, eux qui savent que tous les syndiqués ne sont pas socialistes.
Ils l’entretiennent aussi, quand ils ont l’hypocrisie et la canaillerie de mettre dans leurs propositions d’alliance un alinéa disant que si l’alliance n’est pas possible par en haut, avec la Confédération, les groupes socialistes locaux, les fédérations socialistes départementales, devront user de tous les moyens pour contracter alliance soit avec des syndicats, soit avec les Bourses du Travail, soit avec les Fédérations professionnelles. Ainsi l’œuvre de désorganisation qu’on n’aura pas pu faire par en haut, en haine parfois du syndicalisme qui éclipse quelques vedettes socialistes, on la fera par en bas, en minant souterrai-nement l’édifice syndical.
Les socialistes entretiennent encore la guerre quand ils insultent à jet continu les militants de la Confédération, en les traitant de « repris de justice », « professionnels du cambriolage », etc…, etc…
Une voix : Les socialistes ne peuvent pas être responsables des fautes d’un seul.
Niel : C’est entendu. Mais pourquoi les Basly, les Lamendin, et tous les militants du parti ont-ils laissé, sans protester, se produire de telles insultes lancées par un membre de leur parti contre des militants syndicalistes ? Le parti socialiste tout entier aurait dû se lever, au nom des principes syndicalistes qu’il défend, et protester le premier contre de pareilles insultes à l’égard de militants syndicalistes.
Enfin, les socialistes entretiennent la guerre quand, je ne dirai pas par mépris, mais par antipathie chronique, ils essaient de diminuer la valeur sociale de l’action syndicale, qui ne serait qu’une vulgaire œuvre de réforme, par rapport celle de l’action politique qui, elle, serait une belle œuvre de révolution.
Je ne veux pas animer cette querelle de savoir laquelle de ces deux actions est la supérieure. Je constate seulement que les syndicats sont une des plus précieuses sources qui alimentent et fertilisent tous les partis révolutionnaires ; que cette fonction les place à un poste d’honneur, et cela me suffit.
Mais je dois dire que, considérées dans leur œuvre immédiate, ces deux actions sont toutes deux réformistes, et considérées dans leur but, elles sont toutes deux révolutionnaires.
Voilà l’état de guerre et voilà ce qu’il est urgent de faire cesser. Si on fait l’alliance avec le parti socialiste, ou bien c’est la scission à bref délai, ou bien c’est provoquer les anarchistes à tel point qu’ils auront raison alors de faire leur politique anarchiste dans les syndicats.
Si les anarchistes continuent leur guerre, c’est encore la division à brève échéance, ou bien c’est provoquer les socialistes à un tel point qu’ils auront raison, alors, de faire leur politique socialiste dans les syndicats. Dans un cas, comme dans l’autre, c’est la mort du syndicalisme.
Si les militants sont bien pénétrés de leur rôle et de leurs intérêts, ils établiront une solide neutralité politique, en mettant une sourdine à leurs passions politiques dans les syndicats, surtout maintenant qu’ils savent que cette neutralité doit faire sûrement des adeptes nouveaux à leur opinions sociales. Comment ! nous aurions le moyen de faire avec le syndicalisme ce qu’on n’a jamais pu faire sans lui : grouper tous les ouvriers sur un terrain qui les oblige à réfléchir sur l’ini-quité sociale et les conduit à nos conclusions, et nous briserions bêtement ce moyen par nos entêtements politiques ? Qui voudrait assumer une telle responsabilité ?
Si l’on ne peut faire ni alliance, ni guerre, que faut-il faire ; alors ?
Il faut conserver le statu quo, en lui insufflant un esprit nouveau.
L’esprit nouveau, c’est la reconnaissance : publique, revêtue de l’autorité morale d’un Congrès aussi important que le nôtre, que, quelle que soit la différence de leurs opinons politiques, les syndiqués – et à plus forte raison les militants – ne doivent ni se mépriser, ni s’injurier, ni se combattre. L’esprit nouveau, c’est conserver des relations de respect et de cordialité à l’égard les uns des autres, c’est envelopper le syndicalisme d’une atmosphère de sympathie réciproque, et reconnaître que toute autre serait irrespirable. L’esprit nouveau, c’est comprendre que le pro-blème social est le plus complexe des problèmes ; et qu’il peut y avoir, à côté du syndicalisme, d’autres actions qui concourent aussi plus ou moins à la solution de ce problème.
L’unité de tactique et de pensée est encore loin d’être réalisée. Il y a des courants nombreux, des divergences nombreuses partout : en politique, en religion, en socialisme, en anarchisme, en coopératisme, en syndicalisme. Cette varié-té est l’image même de la vie : aucun homme, aucun groupe, ne peut tout faire. Que chacun œuvre selon son tempérament, dans le milieu qu’il lui plaît. La division du travail, après tout, est la méthode la plus scientifique et la plus fructueuse.
Il devient tellement évident que l’on peut ti-rer quelque chose de bon, même des lois, que des libertaires eux-mêmes commencent de le re-connaître, comme l’a fait Pouget dans la Voix du Peuple, à propos du repos hebdomadaire.
Quand cet esprit nous aura suffisamment péné-trés, quand cette atmosphère sera suffisamment répandue, les accords accidentels, nécessités par des circonstances exceptionnelles, se feront  mieux que s’ils étaient prescrits par des règlements ou par des décisions de Congrès.
Le syndicalisme ainsi compris, sera la plus haute école d’éducation révolutionnaire du prolétariat.
Nous ne tarderons pas, alors, à recueillir les fruits de nos concessions réciproques sous forme d’adhésions nouvelles, de craintes plus grandes
inspirées à nos dirigeants et à nos patrons, de résultats partiels plus rapides et plus nombreux, toutes choses, on en conviendra, de nature à précipiter les événements et à hâter l’avènement du monde nouveau que nous entre voyons déjà dans nos rêves de suprême justice…

 


Séance du 12 octobre – après-midi.
Président : Niel. Assesseurs : Cousteau et Perault.

Pouget dit qu’on pourrait mettre 5 orateurs pour et 5 contre. On pourrait choisir un camarade de chaque nuance. Ceci pour arriver à un résultat rapide.
David, au nom du Prolétariat de l’Isère, demande à défendre ledit prolétariat contre les appréciations de Renard.
Doizié croit qu’il faut limiter le temps. Il demande qu’on choisisse des orateurs (en nombre limité) parmi ceux qui ont déposé des propositions.
Charpentier estime que malgré la hâte avec la-quelle on se propose de terminer ce débat, il faut permettre aux camarades libertaires de répondre au camarade Niel.
Pouget dit que les orateurs seront choisis parmi tous ceux qui sont pour ou contre, et par ceux-ci.
Keufer dit qu’il se réserve de parler dans le dé-bat contre toute politique à la Confédération.
Philippe dit qu’on peut discuter la question du textile, et après, mais après seulement, sur celle soulevée par Keufer.
Berlier dit que la question doit se limiter et propose de donner la parole aux délégués de Grenoble après que la question sera vidée. Il proteste contre la façon de faire de certains. On croirait que seuls quelques congressistes ont le droit de parler. Plusieurs doivent partir pour se trouver au travail lundi. Il faut donc aller vite.
Merrheim demande au Congrès de bien vouloir limiter la discussion à 5 camarades, le nombre des orateurs de chaque côté.
Le Congrès décide de limiter le nombre des orateurs.
Latapie : Il y a deux éléments et la tendance du syndicalisme révolutionnaire. Il demande de désigner 5 orateurs de chacune des deux tendances et 5 du syndicalisme révolutionnaire.
Le Président dit qu’il n’y a que deux tendances, deux courants.
Le Congrès décide qu’il y a trois courants et 9 orateurs parleront à raison de 3 par courant.
Suspension de séance.

Liste des orateurs qui devaient parler sur la proposition du Textile : Philippe, Laporte, Cousteau, Montagne, Broutchoux, MartyRollan, Keufer, Robert, Craissac, David, Parvy, Clé-ment, Gagnat, Bienner (*), Charpentier, Clévy, Dret, Tabard, Andrieu, Thil, Coupat, Pataud, Cheytion, Legouhy, Chazeaud, Devilar, Ferrier, Bruon, Gouby, Laval, Combes, Jamut (*), Ader, Fonty, Gautier, Braun, Braud, Latapie, Merrheim, Rouiller, Yvetot, Sellier.

Le Président met aux voix une proposition tendant à ce que le camarade Renard parle le dernier.
Adopté.
Par suite de la décision du Congrès, les orateurs suivants prendront seuls la parole :
1er groupe : Merrheim ; Broutchoux et Latapie ;
2ème groupe : Keufer, Doizié et Coupat ;
3ème groupe : Philippe, Parvy et Renard.

Le Président donne la parole à Merrheim.
Merrheim : Avant d’aborder le sujet qui m’amène
cette tribune, je tiens à protester contre ceux qui, hier, faisaient allusion à Bourchet.
Ils ont voulu établir un rapprochement entre son départ et l’attitude de certains députés qu’on a critiqués à cette tribune ; comme pareilles insi-nuations ont déjà été lancées contre Bourchet à Bourges, l’ayant remplacé à la Métallurgie, il ne m’est pas possible de les laisser se renouveler ici, et je tiens à déclarer au Congrès que Bourchet n’a commis aucun acte malhonnête. Parti librement, il travaille aujourd’hui de son métier de tourneurrobinettier, aussi je ne permettrai à personne de l’attaquer et pour ceux qui essaieront de le faire, il me trouveront devant eux pour le défendre.
de lutte prolétarienne ; puisqu’elles vous combattent autant sur le terrain politique qu’économique.
Si je prends le chiffre des syndiqués, j’y retrouve les mêmes erreurs, que je voudrais croire involontaires ; les mineurs qui, sur l’Annuaire, sont portés en deux syndicats pour 8.000 membres, viennent de payer à leur Fédération unifiée pour 900 membres ; le syndicat du Textile de Roubaix que vous comptez comme ayant 6.200 adhérents, en a, à peu près, 3.000, si nous prenons vos propres chiffres du Congrès de Tourcoing, que nous ne pouvons pas suspecter, puisqu’ils ont servi de base pour la R.P.
Renard dit qu’il avait pris tous les syndicats sans faire de questions d’espèce.
Merrheim : C’est possible, mais vous n’aviez pas le droit de prendre ces chiff res pour dire au Congrès : Voilà, ce que nous avons fait dans le Nord.
Vous n’aviez pas Ie droit non plus, pour donner plus de force à votre argumentation, d’écrire dans l’Ouvrier Textile, après avoir cité les mêmes chiff res: « L’Unité la plus complète est réalisée sur ce terrain: syndical, coopératif et politique ».
Quand on apporte des chiff res dans une question aussi grave, nous avons le droit d’exiger qu’ils ne soient pas faux.
Indépendamment des syndicats jaunes, il y en a d’autres, tels ceux du bassin de Maubeuge, dont la plupart sont des comités électoraux d’un député radical. Pourquoi les comptez-vous encore comme l’œuvre de votre Parti ? Prenons le bassin d’Anzin, où il y a plus de 30.000 ouvriers de la Métallurgie, nous y trouvons bien trois députés socialistes, mais seulement 600 syndiqués, à des organisations qui ne suivent pas votre tactique. Vous êtes glorieux à tort de vos cathédrales, elles ont peut-être, de belles façades, mais c’est tout ; Roubaix, proclamée la « Ville sainte », la Mecque du socialisme, est une cité de souff rances et de misères. Il est peu de villes ou l’on trouve des salaires aussi bas ; mieux que personne vous le savez, camarade Renard ; ainsi à Roubaix, pour article « Robes », quel st l’ouvrier qui pourrait dire, au long d’une année, qu’il gagne, en le tissant, neuf francs par semaine. Je prétends que c’est la conséquence de votre tactique. Est-ce que le Syndicat Textile de Roubaix ne compte pas dans son sein des Maçons, Chaudronniers, Mécaniciens, Charretiers, en un mot, des hommes de toutes les corporations, sans que jamais le Parti ait essayé de les grouper dans leurs syndicats respectifs ; Guesde, lui-même, n’a t-il pas maintes fois déclaré que le syndicat était une blague ? J’ai donc le droit de vous dire que, syndicalement parlant, vous n’avez jamais fait complètement votre devoir dans le Nord. Aussi, quand je vous entends parler de légalité, dire que les syndicats ne doivent pas sortir de la légalité, je ne puis que m’étonner de votre attitude, vous qui, tant de fois, à Roubaix, m’avez demandé d’en sortir de la légalité.
Renard : Je ne vous ai jamais connu à Roubaix !
Merrheim : Je vous y ai connu et me suis séparé du Parti, le jour où, après m’avoir recommandé de bourrer mon fusil avec mon bulletin de vote, il m’a demandé de le décharger pour en faire sortir un candidat. Aujourd’hui, nous n’avons plus les mêmes manières de voir, vous faites du syndicat un groupement inférieur, incapable d’agir par lui-même ; vous ne voulez pas qu’il sorte de la légalité pour que, sur le terrain politique, il ne puisse gêner votre action. Nous affirmons, au contraire, qu’il est un groupement de lutte intégrale, révolutionnaire et qu’il a pour fonction de briser la légalité qui nous étouffe, pour enfanter le « Droit nouveau » que nous voulons voir sortir de nos luttes.
Si j’ai tant insisté sur Roubaix, c’est que cette ville personnifie bien l’action que vous préconisez ici.
En terminant, je tiens encore à relever le dernier point de votre argumentation.
Vous nous avez dit que nous devrions porter aux députés nos desiderata, nos projets de loi. Je prétends que nous n’avons pas à le faire. Qu’ils s’inspirent des délibérations de nos Congrès, c’est leur droit, leur devoir même. Mais je me refuse à leur dire : nous voulons cela ; car je sais bien qu’aussi bien intentionnés qu’ils soient, par suite de la mauvaise organisation que nous subis-sons et dont les travailleurs, seuls, sont les victimes, ils ne pourront jamais nous donner complète satisfaction. Laissons donc au syndicat sa fonction propre de véritable lutte de classe ; que son action soit une lutte incessante contre toutes les légalités, tous les pouvoirs, toutes les forces oppressives, disons-nous bien que nous n’avons pas le droit de l’en distraire pour d’autres be-sognes.
Voilà ce que vous ne voulez pas comprendre ; vous ne voulez pas voir qu’il ne doit y avoir que deux classes : celle des exploités contre les exploiteurs, et qu’entre les deux il y a, il y aura toujours l’État, qui, avec des baïonnettes, sert
de tampon entre les deux classes et nous empêche d’avoir satisfaction.
Keufer déclare qu’en présence de la gravité de la question actuellement soumise à l’appréciation du Congrès, il importe de parler franc. Il pense, en raison des idées que les délégués manifestent, que la liberté de la parole sera complète et qu’il pourra exprimer librement sa pensée.
Tous nous pouvons constater, dit Keufer, qu’un profond malaise existe dans nos organisations syndicales et à la Confédération. Cela tient aux divisions provoquées par les divergences de vues sur la direction que doivent suivre la Confédération et les syndicats.
En jetant un coup d’œil en arrière, on se rappelle que, dès le Congrès de Zurich, en 1893, les députés socialistes allemands, Bebel, Singer, Liebknecht, firent adopter la motion que ne pourraient assister aux Congrès ouvriers les dé-légués qui seraient hostiles à l’action parlementaire. Au Congrès de Londres, en 1896, eût lieu une vive discussion entre les délégués ouvriers et les nombreux représentants du Parti socialiste français, parmi lesquels presque tous les députés du Parti ; on voulait exclure les représentants des syndicats, régulièrement mandatés, qui se déclaraient antiparlementaires.
A une voix de majorité, cette proposition d’ex-clusion fut repoussée.
Depuis cette époque, les hommes politiques, les parlementaires ont évolué, et ils ne sont plus absolus dans leurs idées, ils sont devenus syndicalistes.
Il en est de même des libertaires, des anarchistes qui ont longtemps combattu les syndicats ; ils ne voyaient là que des organisations ouvrières aristocratiques, dans lesquelles ne pouvaient entrer les « unskilled » (*), comme disent les Anglais. Ces adversaires d’autrefois, dont nous pourrions peut-être en retrouver quelques-uns dans ce Congrès, ont aussi modifié leur opinion,
tel point que ces antisyndicalistes de naguère sont devenus des syndicalistes actifs, les apôtres du syndicalisme révolutionnaire. C’est ainsi que la Confédération du Travail a pris une direction qui, selon moi, ne lui appartient pas, qui n’est pas celle qui lui avait été désignée au Congrès de Limoges. En effet, les délégués qui y assistaient étaient unanimes pour donner à la Confédération sa mission réelle, celle de rallier les forces ouvrières, de provoquer l’organisation du prolé-tariat et assurer son action sur le terrain économique, en dehors de tout parti politique, de toute école philosophique ; elle devait garder une sincère, une complète neutralité.
C’est cette neutralité qui, depuis le Congrès de Limoges, a été violée. Je ne méconnais pas l’activité déployée par ceux qui, depuis, ont dirigé la Confédération ; ils ont prouvé quelle influence peut exercer une minorité active sur une masse indifférente ou insouciante. C’est ce qui explique que la Confédération a pu prendre la direction actuelle : antiparlementaire, à tendance anarchiste, anti-militaire, antipatriotique.
C’est ce moment que le Parti socialiste, par l’intermédiaire de la Fédération du Textile, a choisi pour établir des relations normales, temporaires ou permanentes, avec la Confédération du Travail, en vue d’une action révolutionnaire commune.
Je l’ai déjà dit autre part, ces relations ne peuvent pas s’établir, elles ne peuvent aboutir
une entente finale, parce qu’il y a une divergence profonde, absolue, entre la méthode d’action et le but poursuivi par les deux organismes.
Ce que veulent les libertaires syndicalistes, ce n’est pas seulement repousser le parlementarisme pour lui préférer l’action directe, la pres-sion exercée par les syndicats ; non, leur but final est de supprimer l’État, de faire disparaître tout gouvernement de personnes, pour confier aux syndicats, aux fédérations, aux Bourses du Travail, le gouvernement des choses, la production, la répartition, l’échange, c’est-à-dire le communisme libertaire et intégral.
Le parti socialiste, au contraire, en attendant l’avènement final et très éloigné du pur idéal communiste, poursuit la suppression de la propriété et du patronat, pour instituer l’État so-cialiste-collectiviste, comme le régulateur du travail, et le dispensateur de la richesse, par la conquête des pouvoirs publics. Il y a entre ces deux solutions une opposition, au fond, irréductible, et l’entente ne pourrait pas durer long-temps si elle devait se produire, entre les représentants des deux conceptions, et cela d’autant moins que les anarchistes accusent à l’avance l’État collectiviste de devenir plus despotique que l’État bourgeois.
Voilà pourquoi il y a une opposition capitale entre le parti socialiste qui poursuit la transformation sociale par l’action parlementaire et la conquête des pouvoirs publics, et les syndicalistes libertaires, antiparlementaires résolus, décidés à supprimer cet organisme social, l’État.
Et pourtant, il est bon de le signaler, les plus fervents libertaires reconnaissent que dans l’état
social actuel, en présence de la faiblesse des organisations syndicales, – le délégué des Garçons de magasins et des garçons livreurs, en réunion de commission, l’a déclaré – l’intervention des pouvoirs publics, de la loi, est nécessaire pour protéger les faibles. L’intervention des syndicalistes, partisans de l’action directe, auprès des membres du Parlement, auprès du gouvernement, indiquent bien que l’on ne peut repousser d’une façon absolue la protection légale. Et alors on s’explique les candidatures ouvrières pour arriver au Parlement. Cela ne m’empêche pas de déclarer qu’il y aurait danger à fonder de trop grandes espérances sur l’action légale, sur l’intervention de l’État ; il y a lieu de redouter aus-si les conséquences des candidatures ouvrières. Que se portent candidats ceux qui se trouvent dans les rangs du syndicat, c’est bien ; mais il est funeste que ceux qui ont conquis la confiance de leurs camarades – chose difficile à réaliser dans le monde ouvrier, par l’exagération même des principes démocratiques, – il est funeste que ceux-là quittent leurs fonctions syndicales pour devenir des candidats aux fonctions politiques. Ils sèment le scepticisme parmi les travailleurs et favorisent l’accusation de n’avoir agi qu’en vue de se faire un tremplin de leur fonction syndicale. La vérité, c’est que les militants qui représentent une véritable force sociale, qui possèdent la confiance de leurs camarades, doivent rester avec eux et mettre leurs aptitudes au service de leur corporation.
D’autre part, les camarades Bousquet et Dhooghe ont reconnu eux-mêmes que cette intervention des syndicats auprès des fonctionnaires de l’État était inévitable. Et alors, pourquoi se montrer antiparlementaire intransigeant ? Pourquoi nier l’utilité de la protection légale ?
Il ne peut donc être contesté que l’action syndicaliste et l’action politique, pendant une longue période transitoire, si ce n’est toujours, devront s’exercer avec profit.
Mais dans l’intérêt même de cette double action, en raison des divisions inévitables qu’une action commune pourrait produire – l’expérience l’a prouvé – il faut renoncer à une entente permanente ou temporaire entre la Confédération, entre les syndicats et le Parti ouvrier. Chacun de ces organismes a son terrain d’action tout indiqué, délimité ; leur action sera convergente et non commune ni subordonnée.
Pour aboutir à une action parallèle, l’entente officielle n’est pas nécessaire ; par leur caractère socialiste, les membres du Parti ont l’obligation, en raison des principes qu’ils professent, doivent être les défenseurs des intérêts ouvriers, ils doivent spontanément agir dans ce sens.
Mais en affirmant la nécessité de cette action séparée, j’entends également que la Confédération, mieux que par le passé, doit observer une sincère neutralité, non seulement vis-à-vis du Parti ouvrier, mais vis-à-vis de tous les partis, et aussi en s’abstenant de faire de l’anti-militarisme, de l’antipatriotisme et de propager les doctrines anarchistes. Ce n’est pas là le rôle de la Confédération.
Avec mes camarades, je reconnais que nous devons employer nos efforts pour obtenir que l’armée n’intervienne plus dans les grèves, et cette neutralité de l’armée imposera aussi de plus lourdes responsabilités à ceux qui dirigent les mouvements ouvriers.
Mais les dirigeants de la Confédération violent la neutralité qu’elle doit observer en prenant parti pour telle ou telle doctrine, au milieu des rivalités qui se manifestent aujourd’hui. L’anti-militarisme et l’antipatriotisme appartiennent au domaine des opinions, et le camarade Pouget et ses amis ont affirmé que les syndicats ne de-vaient être que des groupements d’intérêts et non d’opinions, tous les salariés peuvent y être abrités sans que leurs convictions philosophiques aient à en souffrir.
La Confédération n’est pas une Église qui peut prétendre imposer un dogme quelconque. Personne aujourd’hui, pas plus les anarchistes que les partisans d’autres doctrines, ne peuvent affirmer l’infaillibilité de leurs conceptions. La so-ciologie – objet de tant de controverses, – les lois si compliquées qui gouvernent les phénomènes sociaux, ne peuvent pas être invoquées avec la même certitude scientifique que les Iois de la mécanique ou de la physique. Par conséquent, dans les organisations syndicales et à la Confédération, on ne doit pas affirmer la supériorité de telle ou telle doctrine, c’est aux seuls individus, dans leur pleine liberté, de se prononcer. Ne pas respecter la neutralité absolue qui est dans le rôle de la Confédération, c’est semer la division dans les rangs ouvriers, c’est nuire à l’unité morale du prolétariat français, qui ne peut pas se réaliser exclusivement, il est vrai, par les organisations syndicales qui ont exclusivement un rôle économique à remplir.
L’action anti-militariste, antipatriotique de la Confédération, est un obstacle sérieux, certain, au développement des syndicats. Elle blesse les convictions de nombreux travailleurs qui ont une autre idée de la mission des organisations corporatives. Persévérer dans cette voie, c’est
préparer la désorganisation des groupements ou, tout au moins, c’est en réduire les effectifs et les rendre impuissants.
Je conclus donc en déclarant que la Confédération doit observer une neutralité absolue, non seulement au point de vue politique, mais au point de vue philosophique, en écartant la propa-gande libertaire, anti-militariste et antipatriotique, idées qui sont exclusivement du domaine individuel. Libre à chacun de les propager ou de les combattre, hors des syndicats.
C’est pour ces diverses raisons que je dépose la proposition suivante au nom d’un certain nombre de mes camarades :

« Le Congrès confédéral réuni à Amiens, Considérant,
Que dans l’intérêt de l’union nécessaire des travailleurs dans leurs organisations syndicales et fédérales respectives, et pour conserver le caractère exclusivement économique de l’action syndicale, il y a lieu de bannir toutes discussions et préoccupations politiques, philosophiques et religieuses du sein de l’organisme confédéral ;
Que la Confédération générale du travail, organe d’union et de coordination de toutes les forces ouvrières, tout en laissait à ses adhérents entière liberté d’action politique hors du syndicat, n’a pas plus à devenir un instrument d’agitation anarchiste et antiparlementaire, qu’à établir des rapports officiels ou officieux, permanents ou temporaires, avec quelque parti politique ou philosophique que ce soit ;
Affirme que l’action parlementaire doit se faire parallèlement à l’action syndicale, cette double action pouvant contribuer à l’œuvre d’émancipation ouvrière et à la défense des intérêts corporatifs ».

Coupat, Fédération des Mécaniciens ; A. Keufer, Fédération du Livre ; L. Malardé, Fédération des Tabacs ; H. Sellier, Fédération des Employés, Bourse du Travail de Puteaux ; E. Guernier, Bourse du Travail de Reims ; L. Rousseau, Employés Reims, Châlons-surMarne ; Limousin, Bourse du Travail de Poitiers ; Liochon, Livre ; Masson, Typographes de Lille ; Hamelin, Livre ; Sergent, Typographie parisienne ; Jusserand, Typographie parisienne ; Richard, Teinturiers de Reims ; Richon, Bourse du Travail d’Epernay ; Thévenin, Comptables de Paris ; Traut, Bourse de Belfort ; Valentin, Typos de Montpellier.

Philippe : En abordant cette tribune, je serais bref, aussi bref que possible. D’ailleurs, c’est notre devoir à tous.Je m’étonne que beaucoup de camarades aient vu dans la proposition du Textile, l’introduction de la politique dans les syndicats. Ce n’est pas là notre opinion. Rien dans l’esprit, ni dans la lettre de la proposition, ne permet de trouver semblable chose. La question est posée par les événements. Le prolétariat croit qu’il y a un autre moyen que le syndicat pour arriver à des améliorations dans sa situation. Quand j’entendais Merrheim dire, tout à l’heure, que l’action directe était supérieure au bulletin de vote, je ne pouvais m’empêcher de penser, et je lui dis que dans les pays où il n’y a pas de suffrage universel, les travailleurs font la révolution pour l’obtenir. Déjà, des membres de la C. G. T. ont des relations, dans l’intérêt des travailleurs, avec des députés socialistes. Nous voulions voir ces rapports établis au grand jour, sans aucune cachotterie. Niel disait hier que l’Internationale était morte de la politique. Je dois rectifier cette appréciation. Guesde est le disciple de Karl Marx et pense, comme lui que la politique doit être bannie de nos syndicats. Karl Marx a toujours banni la politique de l’Internationale.
Dans le Nord, il y a 60.000 syndiqués, et ce chiffre n’est pas exagéré.
Nous pensons que les baïonnettes des soldats ne doivent pas se dresser contre les travailleurs en grève. De cet anti-militarisme, nous en sommes. Mais nous pensons que si les syndicats doivent faire de l’anti-militarisme et de l’antipatriotisme, il faut, à l’entrée d’un membre dans un syndicat, lui dire ce à quoi il s’engage, il faut lui dire qu’il devient anti-militariste et antipatriote.
Les lois sont accordées en grande partie par l’action parlementaire : le repos hebdomadaire a été obtenu par elle et c’est là un moyen qu’on ne doit pas refuser. Nous voulons qu’il n’y ait plus de politique à la C.G.T. et c’est pourquoi il faut voter la proposition du Textile.
Broutchoux : J’ai reçu mandat du camarade Cousteau, au nom de la Bourse du Travail de Narbonne qui déclare qu’elle n’a jamais demandé le concours des politiciens, je proteste, au nom du camarade Braud, de Dijon, contre le traité de philosophie de Niel.
Les jeunes doivent, ici, être entendus. Je ne veux pas de la cathédrale de Renard, même si on y met à l’intérieur le dogme de Niel. Nous avons réuni tous les mineurs et cela en dehors de la politique, de toute politique. Nous ne devons pas nous effrayer des mots. Politicien, pour moi, n’a aucun sens blessant.
Niel : Si le mot politicien n’a aucun sens bles-sant dans votre pensée, consentiriez-vous alors à dire le camarade politicien comme vous dites les camarades antiparlementaires.
Broutchoux : Oui, certainement. Si tous les travailleurs doivent s’entendre pour réclamer des améliorations, ils doivent aussi faire la guerre à tous les parasites, à tous sans exception.
Nous n’empêcherons pas nos adhérents syndi-qués de rester patriotes, mais, quand dans une grève les soldats sont devant nous, il faut bien que le syndicat agisse. Nous combattons tous les parasites, le curé, les magistrats qui sont de cette catégorie. La magistrature est encore un instrument de classe. Rappelez-vous le jugement Jaluzot. Le même jour, un pauvre travailleur de passage fut condamné impitoyablement pour une peccadille. Le syndicat a une supériorité réelle sur tous les partis, même sur le parti socialiste qui, à Lens, compte dans ses rangs des agents de police, des huissiers, etc… Donc, pas de rapports possibles. Le syndicalisme, pour nous, doit se dresser contre l’Etat qui est destiné à maintenir la balance actuelle entre les classes. Il ne peut pas en être autrement. Les gouvernements sont tous réactionnaires. On enregistre les volontés du peuple, quitte à ne rien lui donner. Le mi-nistère actuel en est un exemple. Clemenceau a fait envahir par les soldats les Maisons du Peuple, les soupes communistes, etc… Si Clemenceau a fait cela, que feront les autres ? Notre syndicat des mineurs a demandé l’entente avec le syndicat Basly, nous avons trouvé contre l’unité, Go-niaux et Cadot, parce qu’ils avaient peur qu’on leur reproche de s’allier avec un syndicat qu’on traitait d’anarchiste. Il eût été préférable, au lieu de voir deux camarades gagner 25 francs, obtenir, pour les mineurs, 8 francs pour 8 heures. Un candidat se sert, selon le cas, des intérêts des commerçants ou de celui des ouvriers. Quand les bourgeois nous traitent de brigands, c’est que nous faisons de la bonne besogne. Le Procureur de Béthune déclara avoir pris son réquisitoire dans l’Humanité, lors de mon passage devant le Tribunal de Béthune. Le chef de ce journal avait intérêt pour sa politique, à dénaturer nos actes.
On dit que Bakounine et Kropotkine sont des anarchistes raisonnables et nous, qui appliquons leurs doctrines, on nous traite de bandits.
Je prétends que l’anti-militarisme doit se faire dans les syndicats. Rouanet, un socialiste, déclare que l’armée dans les grèves, est attentatoire à la liberté de la grève. Et il a raison. Le syndicat, s’il doit se confiner dans la légalité, est un bien piètre instrument.
Il est plus difficile d’être syndiqué que d’être électeur. Au syndicat, il faut faire un effort, pour être électeur, pas d’effort à faire.
Forcément, devant la barrière capitaliste formée par les baïonnettes, les travailleurs font de l’action directe. Les patrons ne se soumettent pas aux lois tant aimées par les socialistes du Nord. Et les soldats sont là pour les protéger.
Des travailleurs organisés ont obtenu la journée de huit heures sans le secours de l’action législative.
On constate des anomalies stupéfiantes.
Le ministre Dubief, à Lille, a été conspué par les socialistes du Nord. Quelques temps après, deux ministres, BienvenuMartin et Ruau sont venus à Lens pour inaugurer une Maison du Peuple jaune. Les camarades du Pas-de-Calais ont demandé l’appui des camarades du Nord pour conspuer ces ministres. Le Travailleur refusa d’insérer notre appel. Nous avons accueilli au cri de : « A Limoges ! » les deux ministres en question.
On prétend qu’il y a trois courants. On dit que la C. G. T. a fait une politique anarchiste. Il faut discuter. Est-ce que l’A.I.A. a demandé à faire alliance avec la C.G.T. ?
Niel : Je regrette d’avoir a déclarer que Brout-choux commet une erreur absolue ; dans un récent numéro du Libertaire, il y avait l’ordre du jour du Congrès que l’A.I.A. devait tenir à Li-moges ; et parmi les questions il y en avait une ayant trait aux relations à établir entre l’A.I.A. et la Confédération.
Coupat dit que si Basly a fait de la politique au syndicat il a eu tort.
Broutchoux rappelle la convention d’Arras. Il montre que les Compagnies minières ont maintenu la date de cette convention, malgré la baisse des salaires. Basly et Lamendin ont dit que c’était grâce à leur influence que cela était ob-tenu. C’est donc qu’ils n’étaient pas dangereux pour les dividendes des Compagnies.
J’aime mieux voir la C.G.T. s’engager dans la voie des Pivoteau et des travailleurs de Fressenne-ville, que dans celle suivie par les Millerand, les Augagneur et autres charlatans.
Cousteau : La Bourse du Travail de Narbonne ré-pudie toute politique dans les syndicats. Si nous avons été trompés autrefois, aujourd’hui nous ne nous laisserons plus berner par les charlatans politiques. Comme je l’ai déjà dit, hier encore : A bas toutes les politiques. Toutes les lois sont mal faites. L’inspecteur du Travail de Carcassonne, fonctionnaire du Gouvernement, était avec les patrons contre les ouvriers, pour l’application du repos hebdomadaire. Le Syndicat des Employés lui a même voté un blâme et demandé sa révo-cation.
Doizié déclare qu’il ne sera pas disert. Il ne veut pas essayer de faire prédominer un mode d’action sur un autre. Si je votais, je repousserais la proposition du textile ; mais je ne veux pas infliger de blâme aux politiciens qui comptent, parmi eux, de bons syndiqués.
Je désire qu’on écarte la politique des syndicats, mais qu’on n’aggrave pas la situation en y faisant de la politique abstentionniste et anti-militariste.
Nous entendons toujours les mêmes injures à la Confédération du Travail.
Il lit l’ordre du jour suivant :

« Considérant qu’un syndicat doit grouper dans son sein tous les membres d’une corporation sans distinction d’opinions politique ou religieuse ;
Considérant que l’adhésion à un parti politique quelconque aurait pour résultat certain de diviser les syndicats en autant de fractions qu’il existe de nuances politiques ou philosophiques et que ce serait l’émiettement, c’est-à-dire la mort des syndicats ;
Considérant aussi que si le syndicat a le de-voir de conserver son autonomie et de ne pas introduire la politique dans son sein, ce devoir implique qu’il ne doit pas tolérer davantage la politique d’abstention électorale dirigée le plus souvent contre un Parti qu’un grand nombre d’ouvriers considèrent comme le Parti de leur classe ;
Le Congrès corporatif d’Amiens :
Repousse énergiquement toute tentative de fusion ou de confusion avec un parti politique quelconque ;

Emet le vœu que la Confédération générale du Travail, en lutte contre le patronat, et le Parti socialiste, parti d’opposition aux intérêts capitalistes, doivent observer, vis-à-vis l’un de l’autre, la neutralité la plus absolue.

Doizié, Bourse de Cahors ; Vaysse, de Tulle.
Doizié fait remarquer ensuite aux camarades antivotards, que leur action antivotarde n’est pas exclusive. N’ont-ils pas envoyé Luquet et Bousquet aux conseils des Prud’Hommes, qui n’est pas un terrain de lutte pas plus que le Conseil supérieur du Travail.
Parvy regrette d’être obligé de parler si tard. Vous avez entendu, dit-il, le secrétaire de la Céramique déposer une proposition dont je suis un des pères, et, à ce titre, je serais un père dénaturé, si je ne venais prendre la défense de ce qui est un peu mon enfant.
Il faut savoir exactement, pour juger la question des rapports, ce que c’est qu’un syndicat. Niel disait qu’il était la réunion de tous les ouvriers, de tous les exploités, à quelques opinions politiques, philosophiques ou religieuses, mais lorsque vous leur avez dit cela, vous vous hâtez de leur dire que vous poursuivez la disparition du salariat, du patronat. Je considère que, pour être partisan de cela, il faut être autre chose qu’un simple radical, radical-socialiste, opportuniste ou clérical, et comme la disparition du salariat n’est pas l’opinion de tous les syndiqués ; vous comprenez que l’air ne serait pas respirable pour ceux qui ne sont pas des éléments de trans-formation sociale.
Puisqu’on ne reconnaît pas l’utilité du Parlement et de la politique, les membres de la C.G.T. en ont fait lorsqu’ils s’adressèrent à Sembat pour amener son intervention dans l’affaire anti-militariste. Cette façon de procéder est la même qu’emploient les patrons lorsqu’ils refusent de traiter avec les organisations syndicales, qu’ils ne veulent traiter qu’avec leurs ouvriers, et cela individuellement.
Je ne vous demande pas d’inscrire dans les statuts d’établir des rapports avec ce que vous appelez les politiciens.
On nous a dit que les rapports de la C.G.T. avec le Parti socialiste ne pouvaient s’effectuer parce que, dans le Nord, il y avait des ouvriers misérables. Ce n’est pas un argument. Lorsque vous avez exercé votre action directe ; lorsque vous avez forcé, par votre agitation le Parlement à faire une loi, cette loi est-elle parfaite ? Vous vous en plaignez. Mais, qu’avez-vous fait pour que cette loi soit bonne ?
Ceux qui parlent de politique se font un de-voir de frapper sur le socialisme et sur celle des « sales politiciens », comme ils disent.
La Fédération nationale de la Céramique consi-dère qu’à côté de l’action directe que nous préconisons, il y a d’autres moyens d’actions ; il ne faut pas imposer un seul credo à la classe ouvrière. Nous ne nous contentons pas du simple bulletin de vote, je suis un de ceux qui croient, j’ai appartenu au parti guesdiste, que tous les moyens sont bons qui peuvent amener le prolétariat à sa libération.
Dans la situation actuelle, il y a un danger à établir des rapports avec la C.G.T. et nous lisons dans la déclaration de la Céramique :
« La Fédération de la Céramique va soumettre l’étude des syndicats adhérents, la motion suivante qui sera proposée et défendue par ses dé-légués au Congrès d’Amiens, lorsque viendra en discussion la proposition du Textile :

Le Congrès confédéral d’Amiens,
Considérant que les organisations syndicales poursuivent l’établissement d’une législation qui améliore les conditions de travail et qui perfectionne les moyens de lutte du prolétariat ;

Considérant, d’autre part, que si la pression, l’action directe, exercées par les syndicats sur les pouvoir publics ont une valeur indiscutable, il est au moins aussi vrai qu’elles ne sauraient être suffisantes et que l’action menée au sein même des assemblées qui ont pouvoir de légiférer est un complément nécessaire que, seul un parti politique est en état de fournir ;
Considérant que le parti socialiste, organisation politique du prolétariat, poursuit la réalisation des revendications syndicales et seconde la classe ouvrière dans les luttes qu’elle soutient contre le patronat ; qu’il est donc le parti qui mène cette action complémentaire ;
Le Congrès se prononce en faveur d’un rapprochement entre la Confédération générale du travail et le parti socialiste. Il décide que chaque fois que les deux organisations seront d’accord sur le but à atteindre, l’action des syndicats pourra se combiner temporairement par voie de délégation avec celle du parti socialiste, sans que ces deux organismes puissent jamais se confondre ;
Le Congrès, malgré son désir d’entente, croit cependant prématurée la réglementation des rapports entre les deux organisations, par la création d’un organisme quelconque ; et préfère s’en remettre aux événements du soin de préparer celui qui sera le meilleur, parce qu’il sortira des faits eux-mêmes.
D’ailleurs, le Congrès, constatant que dans maintes circonstances, et dans de nombreux centres l’entente existe, ou est en voie de réalisation, enregistre avec plaisir cette tendance vers l’harmonie des efforts ; fait des vœux pour qu’elle s’accentue et décide d’attendre, pour la création du rouage qui faciliterait les rapports de la Confédération générale du travail avec le parti socialiste, je moment où l’entente entrée définitivement dans les mœurs se sera imposée,  à tous comme une nécessité évidente ;
En attendant et dans l’espoir que le parti socialiste usera de réciprocité, le Congrès demande aux militants de mettre fin aux polémiques qui, en divisant les forces ouvrières, en lassant les énergies, servent seulement les intérêts du patronat et du régime capitaliste ».

Nous ne voulons pas jeter la discorde dans l’organisation syndicale. Quelle que soit la décision que vous prendrez, le vote que vous émettrez, nous ne sommes pas de ceux qui disent que nous nous retirons de la C.G.T. parce que nous serions en minorité.

 


Séance du 12 octobre – après-midi.
Président : Soulageon. Assesseurs : Braud et Roullier.

Latapie trouve qu’il n’y a pas que des anarchistes et des socialistes au Congrès, il y a les syndicalistes purs. Il faut que nous disions, dit-il, qu’il y a une doctrine nouvelle : le syndicalisme.
Les syndicats ont pour but immédiat : la législation du travail toute entière, accidents du travail, diminution des heures du travail, repos hebdomadaire, etc… Mais au syndicat, un camarade opportuniste ou réactionnaire qui obtient une augmentation de salaire, doit savoir que le patron lui reprendra cette augmentation à la première occasion. Il faut donc lui montrer que le syndicat a un autre but encore : la suppression du salariat.
La Fédération de la Métallurgie est une fédération socialiste dans la bonne acception du terme. Nous y affirmons la doctrine réformiste et la doctrine révolutionnaire. C’est donc nous qui aurions dû porter la question posée par le Textile. Nous ne l’avons pas voulu. Quand un camarade vient à notre syndicat, il sait à quoi il s’engage, s’il signe notre règlement.
Il donne lecture de quelques passages des statuts :

« Considérant que par sa seule puissance le travailleur ne peut espérer réduire à merci l’exploitation actuelle dont il est victime ;
Considérant aussi que les travailleurs n’ont à compter sur la Providence-Etat, superfétation sociale dont la raison d’être est de veiller au maintien des privilèges des dirigeants ;
Que, d’autre part, ce serait s’illusionner que d’attendre notre émancipation des gouvernants, car – à les supposer animés des meilleurs intentions à notre égard – ils ne peuvent rien de définitif, attendu que l’amélioration de notre sort est en raison directe de la décroissance de la puissance gouvernementale…
Le but de cette Union est de resserrer les liens de solidarité et d’unir, en un seul bloc, tous les
travailleurs des métaux : sans distinction de profession, d’âge, de sexe, de race ou de nationalité, afin d’arriver à constituer le travail libre affranchi de toute exploitation capitaliste, par la socialisation des moyens de production au bé-néfice exclusif des producteurs et collaborateurs des richesses ; c’est-à-dire de réaliser la devise communiste : « de chacun selon ses forces et à chacun suivant ses besoins ».

D’autre part, l’Union devra se faire un devoir de démontrer, par des faits palpables, à ses adhérents, que leur affranchissement intégral ne saurait avoir sa source, même dans l’augmentation des salaires, le salariat n’étant qu’un forme déguisée de l’esclavage antique, pas plus qu’ils n’ont à compter sur les réformes inappliquées qu’ils ont, de haute lutte, arrachées aux dirigeants ;
Les secrétaires fédéraux ou tous autres fonctionnaires indemnisés par l’Union fédérale, ne peuvent faire acte de candidat à une fonction publique quelconque, sans immédiatement se voir retirer de droit leurs attributions ainsi que leurs indemnités ».
Le syndicat doit lutter contre toutes les puis-sances : puissance religieuse, puissance de l’Etat, puissance du militarisme, puissance de la magistrature. Les collectivistes qui veulent s’emparer de l’Etat pour le détruire, ne devraient pas se plaindre du syndicalisme, qui veut commencer par cette destruction.
Le syndicat doit donc lutter contre toutes ces puissances oppressives.
Mais nous affirmons pour nos membres le droit de faire individuellement ce qui leur convient.
La journée de dix heures n’a été obtenue que grâce à la puissance des travailleurs. Les législateurs ont enregistré purement et simplement.
En 1903, moi, qu’on a qualifié d’anarchiste, voilà ce que j’écrivais : « Je sais que vous préféreriez  me voir préconiser l’abstention électorale, eh bien sachez que « libertaire », je ne relève d’aucune chapelle politique, et que, dans ma pensée, j’estime qu’un abstentionniste conscient est un homme de révolution, mais que ceux qui se ré-vèlent abstentionnistes à l’issue d’un meeting, sont des individus sur lesquels nous n’avons pas compter. La théorie de l’abstention préconisée en réunions publiques est une vaste blague, car une opinion semblable ne peut s’inculquer que dans des cerveaux libérés de tous préjugés.
Pour nous, et nous l’avons dit maintes fois, que les syndicats n’ont pas plus à faire de la politique anarchiste que de la politique socialiste.

Et maintenant, que les camarades sachent bien que dans le sein de notre Fédération, il ne saurait y avoir des opportunistes, des radicaux, des socialistes de diverses écoles ou des anarchistes, pas plus que des croyants ou des athées ; nous considérons qu’il n’y a que des exploités, quelles que soient leurs convictions ».
Peut-on faire un reproche aux révolutionnaires de dire que le travailleur ne doit pas compter seulement et spécialement sur le bulletin de vote ? Une autre besogne plus importante lui reste à faire et le syndicat est seul capable de la lui faciliter.
Il faut que pour la première fois les congres-sistes se prononcent sur la doctrine nouvelle. Il faut que le syndicalisme soit une théorie entre les théories anarchistes et socialistes. Cette doctrine, d’ailleurs, se suffit à ellemême.
Niel à eu tort de prendre à partie les socialistes et les libertaires ; s’il y en a qui ne font pas leur devoir, il y en a qui le font. Je conclus au rejet de la proposition de la Fédération du Textile.
Coupat : Mon intervention a expressément pour but de demander au Comité confédéral d’observer, sur le terrain syndical, la plus stricte neutralité entre anarchistes et socialistes.
Conservé pendant longtemps, jusqu’au Congrès de Lyon, même, cet esprit de neutralité a permis le développement considérable de la Confédération générale du Travail, c’est un événement d’ordre politique qui a fait dévier l’attitude de l’organisme confédéral sur un autre terrain ; je veux dire la constitution d’un certain ministère et l’entrée d’une personnalité politique au gouvernement ; socialistes révolutionnaires et anarchistes coalisés, pendant trois ans ont mené au sein de l’organisme confédéral et dans le journal confédéral La Voix dit Peuple, la lutte contre ce ministère. Les libertaires, insensiblement, ont pénétré l’organisme central de la Confédération
et en ont pris la direction.
Un excès de prosélytisme politique de leur part, a créé, dans les syndicats, des dissensions et des divisions regrettables. On a voulu créer de toutes pièces une méthode d’action officielle de la Confédération. Sans considérer que l’immense variété des conditions professionnelles, cause une variété identique dans la méthode et dans les procédés, on a voulu obliger tous les syndicats à adhérer à la méthode libertaire préconisée par la Confédération. Nombreux sont les délégués qui, ici, sont venus nous signaler des violations du principe de neutralité syndicale, par des délégués en mission de la C.G.T. J’estime que libertaire en délégation pour son organisation syndicale, ou socialiste agissant dans les mêmes conditions, doivent s’abstenir de tout prosélytisme antiparlementaire ou électoral.
Les militants qui sont à la tête de la Confédération, observent-ils cette neutralité ? Beaucoup d’entre nous sont allés dans les bureaux de la Voix du Peuple. Qu’ont-ils vu en entrant ? Une affiche du Père Peinard, représentant un élu qui, son pantalon déboutonné, montre vous savez quoi, au corps électoral… Je trouve dans un numéro récent de la Voix du Peuple, numéro du 23 au 30 septembre, sous le litre : Cabotinage en France, à la suite de quelques lignes que j’approuve d’ailleurs pleinement, l’affirmation suivante : « …Bientôt, après les cabotins du boulevard, vont entrer en fonctions les cabotins du Palais-Bourbon ; on peut dire ce que les premiers rapportent, mais on ne saurait dire ce que coûtent les seconds ».
Je demande si le Congrès couvrira ces violations formelles de la neutralité. Si vous estimez qu’ils sont légitimes, approuvez-les par un ordre du jour. Vous affirmerez par là, que le prosélytisme libertaire peut, sans inconvénient, s’exercer dans nos syndicats.
Vous contribuerez à rendre l’organisme confé-déral impossible pour les militants syndicalistes, qui, en immense majorité, ont foi en leur bulle-tin de vote, ont foi en l’action politique.
D’un autre côté, je dis aux socialistes du Textile que, membre du Parti, il m’est impossible de voter leur proposition, dans l’intérêt même de la classe ouvrière. Les travailleurs, groupés sur le terrain syndical, sont souvent obligés de compter avec une majorité parlementaire qui n’est pas socialiste. Concevez-vous, nos camarades de la guerre et de la marine, qui ont besoin de tous les concours politiques pour obtenir satisfaction leurs légitimes revendications, s’adressant au seul Parti socialiste ? Cela serait désastreux pour leur cause. Êtes-vous bien certains, d’autre part, que les élus du Parti socialiste peuvent tous efficacement défendre les intérêts ouvriers ? Sont-ils tous choisis suffisamment dignes ? Vous en citerais-je un, député d’une circonscription de la Seine, qui, médecin et journaliste, a cru nécessaire d’ajouter à ses 25 francs de député, les ressources qui lui ont été fournies par les compa-gnies d’assurances qu’il a servi longtemps contre les ouvriers victimes d’accidents et qu’il sert encore dans les expertises légales qui lui sont confiées.
La Confédération ne doit pas plus être libertaire que socialiste ou radicale. Il y a dans son sein des travailleurs appartenant à ces diverses tendances, il y en a même qui sont catholiques : voulez-vous les en chasser ? Pour nous qui ne croyons pas à l’obtention de résultats durables par les soubresauts impulsifs de ce que les anarchistes appellent les minorités conscientes, le syndicat doit grouper le maximum de travailleurs de la même corporation, et fatalement, ceux-ci du fait qu’ils seront syndiqués en vue de la défense d’intérêts immédiats, arriveront à l’idéal social de tous les ouvriers conscients : la suppression du salariat. Mais pour cela, il ne faut pas que par une politique quelconque, qui froisse leurs convictions personnelles, on les éloigne a priori du syndicat.
La Confédération, pour êtrepuissante et remplir le rôle d’émancipation ouvrière qu’elle s’est dévolue, doit être ouverte à tous. C’est seulement ainsi qu’elle pourra, non seulement conquérir les améliorations au sort du prolétariat, mais conserver les avantages obtenus par les luttes antérieures, et les efforts des prolé-taires luttant sur tous les terrains. C’est le sens de notre ordre du jour.
Renard : Notre proposition avait surtout pour but de donner lieu à un vaste débat, afin que les différentes tendances qui se manifestent ici sur le rôle de la Confédération, puissent être largement développées.
Quel que soit le rôle réservé à notre proposition, ce résultat a été obtenu ! Je répondrai tout d’abord au reproche que m’a fait Merrheim d’avoir compté les syndicats jaunes dans le chiffre d’effectif syndical dans la région du Nord que j’ai donné hier.
Cela est exact, mais n’enlève aucune force a mon argumentation ; le chiffre que j’ai donné n’a pas été utilisé dans l’ordre de mes arguments pour sa valeur propre, mais bien comme terme de comparaison. Quand j’ai dit que le département
du Nord, avec ses 76.000 syndiqués était, pour la force de nos organisations, le second de notre pays, j’ai compté également, dans tous les autres départements, le chiffre global de syndiqués, sans faire de distinction, ni défalquer l’effectif des syndicats jaunes. J’estime également que si, à Roubaix et dans d’autres localités, comme nous l’a reproché Merrheim, le syndical du textile groupe des camarades d’autres professions, travaillant dans la même usine que les tisseurs, ils n’en sont pas moins syndiqués, et qu’on est mal venu d’attribuer à l’action socialiste la faiblesse de l’organisation syndicale dans certaines régions du Nord, alors qu’ici, tout près, il y a une région soumise à l’influence libertaire qui, sur 25.000 ouvriers du Textile, groupe 50 syndiqués.
D’ailleurs, comme l’a dit Coupat, il n’y a pas si longtemps que les libertaires sont syndiqués, il n’y a pas si longtemps qu’ils proclamaient, qu’il « leur suffisait de poignards, de faux, de piques, de revolvers et de flingots, pour watriner toute la clique des exploiteurs et des sergots », il n’y a pas si longtemps encore que le Père Peinard cognait de son tirepied sur les prolos assez poires pour s’avachir dans les syndicats.
Aujourd’hui, les temps sont changés, les libertaires sont rentrés au syndicat et y font prédominer leur esprit. Nous ne demandons pas que le nôtre y domine, quoi qu’en aient dit nos contradicteurs ; nous ne demandons pas la fusion. Ce que nous voulons, c’est qu’on ne se serve pas de l’organisme syndical comme d’un instrument de combat contre le Parti socialiste, et que les deux modes d’action du prolétariat, action politique ou action syndicale, convergent au même but sans dissensions fratricides. Je ne suis pas le seul à défendre cette manière de voir. On a dit dans la discussion d’hier, qu’on voulait établir des syndicats suivant la méthode de Kropotkine, eh bien ! j’ai ici un numéro des Temps nouveaux où Kropotkine, au sujet du Congrès de Mannheim, préconise l’entente que nous demandons.
Niel a dit que l’ouvrier était travailleur d’abord, citoyen ensuite, c’est exact, mais il est l’un et l’autre. Il nous a encore dit : « Vous demandez l’entente, l’alliance intermittente, pourquoi pas la fusion ? ». Je pourrais à mon tour lui demander : « Puisque vous êtes pour l’affranchissement total du prolétariat – comme nous du reste ! – pourquoi ces congrès et pourquoi pas la révolution libératrice de suite ? ». Ce que nous demandons d’abord, c’est ce qu’ont bien compris les travailleurs de Belgique, d’Allemagne, des pays scandi-naves, et même, ces dernières années, nos camarades anglais.
Ce que nous voulons, c’est, en un mot, que les rapports officieux et clandestins actuels, entre les militants syndicalistes, et le Parti socialiste, s’étalent au grand jour. Notre proposition est une proposition de loyauté.
Vous direz si le syndicat doit être en même temps un groupe politique ou s’il doit se borner
l’étude des questions de travail, entretenant avec le parti politique, le minimum de relations indispensables.
Qu’on ne parle pas ici de tentative d’intrusion politique de notre part. Relisez notre journal, relisez l’Ouvrier Mécanicien, la Typographie, jamais un mot de politique, dites-nous s’il en est de même de la Voix du Peuple ; dites-nous si ce n’est pas faire œuvre de politique néfaste, qu’insérer dans l’organe confédéral, le factum divisionniste dont Dooghe a donné lecture hier. Je termine, camarades, en priant nos camarades de l’Isère de ne pas prendre en mauvaise part, l’expression que j’ai employée hier, au sujet de l’évolution des travailleurs de Grenoble vis-à-vis du renégat Zévaès. Ce n’est certes pas pour les militants conscients que j’ai parlé, mais bien pour la masse inéduquée.
David (de Grenoble) : Les délégués de Grenoble prennent acte des paroles que vient de prononcer le camarade Renard, au sujet du prolétariat organisé de Grenoble et de l’Isère.
Griffuelhes : Les reproches formulés, dit-il, portent sur la méthode et l’esprit de la C.G.T. Il faut donc insister sur le caractère de son mouvement.
Et d’abord, constatons que Merrheim a détruit par des chiffres, la base de l’exposé de Renard ; il a prouvé que la méthode qu’il préconise n’a pas donné de grands résultats, attendu l’inexactitude des chiffres produits. Et qu’on ne nous dise pas que les syndicats jaunes sont peu importants et ne rentrent pas pour une grosse part dans les chiffres que vous avez donnés. Il y a plusieurs syndicats jaunes en dehors de Roubaix qui comprennent chacun plus d’un millier de membres ;
Lille, il y en a deux, à Armentières, etc… En outre, dans le Nord, il faut distinguer plusieurs régions : Lille, Roubaix, Tourcoing, le Cambrésis, d’un côté. Mais Dunkerque et Valenciennes échappent à l’influence des amis de Renard. Donc, de ce fait, les chiffres avancés diminuent encore de valeur.
Si encore vous aviez apporté la preuve d’immenses résultats. Mais non ! Grâce à vos chiffres faux, on serait en droit de conclure que votre
œuvre s’évanouit presque.
Et puis, vous citez les Anglais, nous disant qu’après 50 ans d’action directe, ils viennent au parlementarisme. Vous ajoutez qu’ils ont les plus hauts salaires et les plus courtes journées. Cela, c’est le résultat de leur action directe. Quant aux effets du parlementarisme chez eux, le moins est d’attendre pour les enregistrer. Il y a donc là une contradiction qui se retourne contre vous,
Vous prétendez que ce que vous demandez existe déjà, sous forme de rapports occultes entre la C.G.T. et les parlementaires. C’est inexact ! En deux circonstances, j’ai eu des rapports personnels avec deux députés, Sembat et Wilm. Ils m’avaient demandé de les documenter pour interpeller. Je l’ai fait et chaque fois qu’un député, répondant à la mission qu’il s’est donnée, voudra se renseigner, je le documenterai avec plaisir. Mais, en ces circonstances, ces dé-putés ne faisaient que leur devoir et il n’y a pas à leur en avoir gratitude.
Au delà de la proposition de Renard, qui pose une question de fait, il en est une plus importante, celle de Keufer, qui, parlant d’unité morale, reproche à la C. G. T. de l’avoir détruite.
Cette unité morale ne peut exister. Dans tout groupement il y a lutte et non division. L’acceptation de son ordre du jour constituerait une négation de la vie, qui est faite du choc des idées.
De plus, Keufer insiste trop sur la présence des libertaires au sein du Comité confédéral ; ils n’y sont pas aussi nombreux que le veut la légende. Mais, c’est une tactique pour faire surgir un péril libertaire, afin de constituer un bloc pour annihiler ce péril. Au lieu de vagues affirmations, il fallait produire des faits, des résolutions, des documents émanant de la C.G.T., et inspirés par l’unique objectif anarchiste. Il n’y en a pas ! Qu’il y ait chez certains d’entre nous des idées libertaires, oui ! mais qu’il en naisse des résolutions anarchistes, non !
Coupat a dit qu’avant 1900, la C.G.T. n’avait pas prêté le flanc aux critiques. Oui, parce qu’elle n’existait pas. Il a ajouté que l’entrée de Millerand au ministère a donné naissance à cet esprit, Rappelons des faits peu connus :
A peine Millerand ministre, parut une déclaration signée de Keufer, Baumé, Moreau, en faisant suivre leur nom de leur qualité de secrétaire d’organisation, etc…, approuvant son acte. Est-ce que pareille déclaration ne constituait pas un acte politique ? Et quel pouvait en être le résul-tat ? Puis, à l’Union des Syndicats de la Seine, on vint proposer un banquet à Millerand. N’était-ce pas encore un acte politique pour un but bien défini ? Seul, je m’y opposai. On manœuvrait alors pour introduire l’influence du gouvernement au sein de la Bourse du Travail, – et c’est en réaction
cette tendance qu’est venu l’essor de la C.G.T. Au lendemain de Chalon, les membres de la Commission de la Bourse du Travail reçurent, pour eux et leurs familles, une invitation à une soirée du ministre du commerce ; deux jours après, nouvelle invitation, – de Galliffet cellelà ! – pour un carrousel.
Que voulait-on ? Nous domestiquer ! Nous fûmes deux à protester et à propagander contre. Nous dévoilâmes ces manœuvres et, petit à petit, nous finîmes par faire voir clair aux camarades.
L’explosion de vitalité de la C.G.T. résulte de ces événements. Il y eut une coalition d’anarchistes, de guesdistes, de blanquistes, d’allemanistes et d’éléments divers pour isoler du pouvoir les syndicats. Cette coalition s’est maintenue, elle a été la vie de la Confédération. Or, le danger existe encore. Il y a toujours des tentatives pour attirer au pouvoir les syndicats, – et c’est cela qui empêchera l’unité morale.
Où l’unité morale peut se faire, c’est si on cherche à la réaliser contre le pouvoir et en dehors de lui. Or, comme il en est qui sont pour ces contacts, ceux qui s’opposent à ces relations empêcheront l’unité morale dont parle Keufer. Ce qu’il faut voir, c’est que ce n’est pas l’influence anarchiste, mais bien l’influence du pouvoir, qui entraîne à la division ouvrière.
Exemple, les mineurs. La désunion ouvrière fut la conséquence de la pénétration du pouvoir. En 1901, on s’opposa à la grève pour ne pas le gêner et pour ne pas contrarier l’œuvre socialiste de Millerand-Waldeck-Rousseau. Joucaviel, qui avait tout fait pour s’opposer à la grève, a reconnu, après quatre ans, que le pouvoir n’avait pas tenu les promesses faites, que le gouvernement avait roulé les mineurs.
Est-ce les anarchistes de la C.G.T. qui ont créé ce conflit ? Non ! Pas plus qu’ils n’ont créé celui des Travailleurs municipaux.
En ce qui concerne ceux-ci, le conflit a son origine entre ceux qui voulaient que l’organisation marche à la remorque de l’administration et ceux qui s’y opposaient.
En réalité, d’un côté, il y a ceux qui regardent vers le pouvoir et, de l’autre, ceux qui veulent l’autonomie complète contre le patronat et contre le pouvoir. C’est en ce sens que s’est manifestée l’action de la C. G. T., et le développement considérable qui en a été la conséquence infirme la thèse du Textile : l’accroissement de la Confédération a été parallèle à l’accentuation
de sa lutte. Il n’y a donc pas nécessité de modifier un organisme qui a fait ses preuves ; mais au contraire, de déclarer que la C.G.T. doit rester telle que ces dernières années.
Admettons que la proposition du Textile soit votée ! Elle créerait des rapports entre la C.G.T. et le Parti. Or, qui dit rapport, dit entente ; qui dit entente, dit accord ! Comment s’établirait cet accord fait de concessions mutuelles, entre un Parti qui compte avec le pouvoir, car il en subit la pénétration, et nous qui vivons en dehors de ce pouvoir. Nos considérations ne seraient pas toujours celles du Parti, d’où impossibilité matérielle d’établir les rapports demandés.
De même qu’il faut repousser l’ordre du jour du Textile, de même il faut repousser celui du Livre qui voudrait limiter l’action au rayon purement corporatif et nous ramener au trade-unionisme anglais, serait rétrécir le cadre de l’action syndicale et lui enlever toute affirmation de transformation sociale. Le Congrès ne voudra pas cela. Ce serait méconnaître le processus historique de notre mouvement. Ce serait une reculade et ce n’est pas au moment où il y a accentuation d’action qu’il pourrait y avoir reculade de principe.
Guérard : Il y a une affirmation de neutralité.
Griffuelhes : Oui, mais en outre, il y a, dans cet ordre du jour, les considérants qui ont une autre portée. D’ailleurs, en voici le texte. Le premier paragraphe parle de bannir toutes discussions et préoccupations politiques, philosophiques, etc…
Classez-vous dans les préoccupations politiques et philosophiques, l’affirmation de la suppression du salariat.
Coupat dit que, dans leur esprit, cela est entendu.
Griffuelhes : Pourquoi ne pas le dire clairement ? Et parlant de l’affiche rappelée par Coupat, Griffuelhes observe que cela remonte à 1901, – époque ou Guérard était secrétaire de la C.G.T.
Guérard : Cette affiche était tellement drôle, qu’elle prêtait à rire.
Coupat dit qu’il ne va pas au Comité confédéral sans y voir des choses qui le blessent.
Griffuelhes : Sur les critiques relatives à l’antimilitarisme, si la Confédération a publié des journaux sur ce sujet, c’est parce qu’elle en a reçu le mandat en 1900, sur la proposition de Fribourg, aujourd’hui conseiller municipal de Paris. Depuis, nul Congrès n’est revenu sur cette décision, et j’ose espérer que celuici ne reviendra pas sur elle.
Il demande en terminant que le Congrès vote sur la proposition du Textile, puisqu’on s’affirme sur un ordre du jour catégorique résumant ses déclarations.
Niel dépose l’ordre du jour suivant :

« Considérant que le syndicalisme a pour but l’amélioration quotidienne du sort de la classe ouvrière, et la suppression du patronat et du salariat ;
Considérant que pour donner à son action son maximum d’effet, le syndicalisme doit pouvoir recueillir dans son sein tous les travailleurs sans distinctions politiques ou confessionnelles ; que, pour cela, il lui est impossible de s’inféoder à aucun parti politique ;
Considérant que malgré la diversité d’opinions qu’il renferme, le syndicalisme exerce, sur le terrain  économique,  une  action  sociale  dont l’utilité et l’efficacité ne sont plus discutables ; Considérant  qu’en  dehors  des  organisations syndicales il peut y avoir des organisations de différentes natures qui, sous une autre forme et sur un autre terrain, poursuivent aussi comme
but la suppression du patronat et du salariat ; Considérant que de nombreux ouvriers syndiqués exercent leur action sociale simultanément sur le terrain économique des syndicats et sur le terrain politique de groupes différents ;
Considérant qu’il serait contraire aux statuts de la C.G.T. et préjudiciable à l’organisation ouvrière que le syndicalisme fût systématiquement associé ou opposé à l’un quelconque de ces groupements, politiques ;
Le Congrès repousse toute espèce d’alliance avec tout parti ou secte politique que ce soit ;
déclare, en outre, que le syndicalisme se suffit à lui-même pour réaliser son œuvre de lutte de classe en exerçant son action directement contre le patronat et contre toute force capitaliste d’oppression physique ou morale des travailleurs ».

Coupat et plusieurs délégués : Nous déclarons accepter l’ordre du jour Niel.
Le Président donne lecture de divers ordres du jour :
Bourse du Travail d’Angoulême (Charente), est hostile à la campagne commencée (Textile du Nord), sur les rapports à établir entre la C.G.T. et les partis politiques. La question économique étant la seule qui nous semble ici intéressante et utile à discuter, et à poursuivre, dans nos syndicats.
Ne répugne pas à voir des syndiqués investis de fonctions politiques, par lesquelles ils peuvent aider à la conquête de plus de largeur de vue dans la résolution des lois ouvrières ;
Elle serait désolée de voir nos syndicats dégé-nérer en comités électoraux.
Pour la Bourse du Travail d’Angoulême : Le délégué : Etard.
Les syndicats adhérents à la Bourse du Travail d’Angers :

« Considérant que les syndicats ne pouvant et ne devant être qu’un moyen transitoire pour arriver à la suppression du salariat, ne doivent lut-ter, pour leur aff ranchissement intégral, que sur le terrain économique ;
Considérant que l’immixtion de la politique dans les syndicats ne peut être qu’une cause de discorde, l’expérience nous l’ayant démontré ; Pour ces raisons, repoussent toute idée de rapports des syndicats avec les partis politiques ».

Pour les syndicats, les délégués :
Bahonneau, Karcher, Guinaudeau.
Addition à l’ordre du jour repoussant la proposition du Textile :

« Considérant que l’intervention des élus dans les grèves ou dans les mouvements ouvriers est toujours funeste ;
Considérant que toujours le prolétariat fut dupé dans ses grèves par l’intrusion, sur le champ de lutte de politiciens trompeurs ;
Le Congrès engage les syndicats et organisations ouvrières à repousser tout concours des élus dans les mouvements du prolétariat ».

Charpentier, Bourse du Travail de Marseille ; Teyssandier, Bourse du Travail de Périgueux ; Chazeaud, Union des Syndicats Lyonnais ; Le-gouhy, Tapissiers de Lyon ; E. L aval, Epiciers de Paris ; Bécirard, Chaussure de Lyon ; Cheytion, Cultivateurs de Coursan ; Cousteau, Bourse du Travail de Narbonne.
Cousteau, Bourse du Travail de Narbonne :

« Considérant que la politique dans les syndicats est néfaste à la bonne marche vers l’émancipation intégrale que les prolétaires réclament ;
Le Congrès rejette purement et simplement le vœu porté à l’ordre du jour par le Textile et réclame le statu quo sur cette importante question ».

Tillet, Fédération de la Céramique :

« Le Congrès confédéral d’Amiens,
Considérant que les organisations syndicales poursuivent l’établissement d’une législation qui améliore les conditions de travail et qui perfectionne les moyens de lutte du prolétariat ;
Considérant, d’autre part, que si la pression, l’action directe, exercées par les syndicats sur les pouvoirs publics ont une valeur indiscutable, il est au moins aussi vrai qu’elles ne sauraient être suffisantes et que l’action menée au sein même des assemblées qui ont pouvoir de légiférer est un complément nécessaire que, seul un parti politique est en état de fournir ;
Considérant que le Parti socialiste – organisation politique du prolétariat – poursuit la réalisation des revendications syndicales et seconde la classe ouvrière dans les luttes qu’elle soutient contre le patronat ; qu’il est donc le parti qui mène cette action complémentaire ;
Le Congrès se prononce en faveur d’un rapprochement entre la Confédération générale du Travail et le Parti socialiste. Il décide que chaque fois que les deux organisations seront d’accord sur le but à atteindre, l’action des syndicats pourra se combiner temporairement, par voie de délégation avec celle du Parti socialiste, sans que ces deux organismes puissent jamais se confondre ;
Le Congrès, malgré son désir d’entente, croit cependant prématurée la réglementation des rapports entre les deux organisations, par la création d’un organisme quelconque, et préfère s’en remettre aux événements du soin de préparer celui qui sera le meilleur, parce qu’il sortira des faits eux-mêmes ;
D’ailleurs, le Congrès constatant que dans maintes circonstances et dans de nombreux centres l’entente existe, ou est en voie de réalisation, enregistre avec plaisir cette tendance vers l’harmonie des efforts ; fait des vœux pour qu’elle s’accomplisse et décide d’attendre, pour la création du rouage qui faciliterait les rapports de la Confédération générale du Travail avec le Parti socialiste, le moment où l’entente entrée définitivement dans les mœurs se sera imposée à tous comme une nécessité évidente ;
En attendant et dans l’espoir que le Parti socialiste usera de réciprocité, le Congrès demande aux militants de mettre fin à des polémiques qui, en divisant les forces ouvrières, en lassant les énergies, servent seulement les intérêts du patronat et du régime capitaliste ».

Renard demande la division pour le vote sur l’ordre du jour qu’il a déposé.
Cette division mise aux voix à mains levées n’est pas votée.
Devant cette décision, Renard déclare que les camarades partisans de la proposition du Textile, ne prendront pas part au vote.

Résultats du vote :
Contre 724
Pour 34
Blancs 37

Griffuelhes lit l’ordre du jour suivant :

« Le Congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la C.G.T. ;
La C.G.T. groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte
mener pour la disparition du salariat et du patronat… ;
Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière ;
Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique :
Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc… ;
Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale ;
Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait de tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat ;
Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors ;
En ce qui concerne les organisations, le Congrès décide qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté, la transformation sociale ».

Marie ; Cousteau ; Menard ; Chazeaud ; Bruon ; Ferrier ; E. David, Bourse du Travail de Grenoble ;
Latapie ; Médard ; Merrheim ; Delesalle ; Bled ; Pouget ; E. Tabard ; A. Bousquet ; Monclard ; Ma-zaud ; Braun ; Garnery ; Luquet ; Dret ; Merzet ; Lévy ; G. Thil ; Ader ; Yvetot ; Delzant ; H. Galantus ; H. Turpin ; J. Samay, Bourse de Paris ; Robert ; Bornet ; P. Hervier, Bourse du Travail de Bourges ; Dhooghe, Textile de Reims ; Roullier, Bourse du Travail de Brest ; Richer, Bourse du Travail du Mans ; Laurens, Bourse du Travail de Cherbourg ; Devilar, Courtiers de Paris ; Bastien, Textile d’Amiens ; Henriot, Allumettiers ; L. Morel, de Nice ; Sauvage ; Gautier.

Niel : L’ordre du jour présenté par le bureau confédéral étant, dans son esprit, absolument conforme au mien, je retire celui que j’ai pré-
senté et je me rallie à celui de Griffuelhes. Je demande simplement pour le mien, qu’il soit in-séré dans la brochure du Congrès.
Jusserand fait la déclaration suivante au nom du Livre. Nous voterons la proposition Griffuelhes en faisant toutes nos réserves sur la grève générale, étant donné que le Livre y est momentané-ment hostile, parce qu’elle condamne l’intrusion de toute politique dans les syndicats et au sein de la C.G.T.
Monatte : Après la déclaration de Jusserand, au nom de la Fédération du Livre, disant que les délégués du Livre voteront la proposition Griffuelhes, mais en faisant des réserves, je tiens, au nom de mon syndicat, celui des correcteurs d’imprimerie, adhérent à la Fédération du Livre,
déclarer que je voterai la proposition Griffuelhes sans faire aucune réserve.

Résultats du vote :
Pour 830
Contre 8
Blancs 1

 


Notice biographique
des délégués intervenants dans cette partie de la discussion du Congrès,
et de quelques autres individus cités remarquables :

Liste dans le fichier .PDF : Charte_amiens.pdf

 


Notice iconographique
de quelques délégués cités et de quelques autres individus cités remarquables :

 

 


Conclusion

La liste des militants qui signèrent ou soutinrent l’ordre du jour (résolution) déposé au nom du Bureau confédéral est fondamentale : ils émanaient
de toutes les écoles syndicalistes (anarcho-syndicalistes, syndicalistes réformistes, syndicalistes révolutionnaires) et, pour les « socialistes politiques », de toutes les écoles antérieures à l’unification du Parti socialiste (allemanistes, blanquistes, brous-sistes), à l’exception des marxistes-authentiques ; et c’est moins de 1% des mandats exprimés qui le furent contre cette résolution que l’Histoire retient sous l’appellation : Charte d’Amiens.

Bon an mal an, chaque occasion fut bonne pour les guesdistes de revenir à la charge sur cette question, sans succès.
Six ans plus tard, les menaces de guerre mondiale étaient très proches. D’un côté Jean Jaurès s’agitait entre ses amis de l’Internationale ouvrière, et ses amis du gouvernement : les anciens membres du Parti – Aristide Briand, Alexandre Millerand, René Viviani. Tous finirent dans l’Union sacrée guerrière. Jaurès fut assassiné, Guesde devint ministre. De l’autre, après une série de meetings et de manifestations (27 juillet), le Comité confédéral de la C.G.T. s’inquiétant de l’absence de mobilisation massive de la classe ouvrière, abandonna toute perspective de combat contre la guerre. D’un constat de défaut à la préservation de l’avenir, il y une différence fondamentale avec le soutien apporté par Léon Jouhaux au gouvernement d’ Union sacrée lors de l’enterrement de Jean Jaurès le 4 août 1914, et la constitution d’un Comité de liaison P.S.-C.G.T. le 9 août. Les effectifs des syndicats s’effondrèrent.

La guerre se terminant, la reconstruction des syndicats fut rapide, et avec des effectifs très supérieurs à ceux d’avant-guerre. Les ambiguïtés de la Révolution d’Octobre firent de nouveau des dégâts dans le mouvement syndicaliste : les syndicalistes-réformistes se retrouvèrent dans la C.G.T. ; ils y refusèrent les syndicalistes révolutionnaires et les anarcho-syndicalistes qui constitueront la C.G.T.U. avec les marxistes-authentiques nommés dorénavant bolchevistes. Lorsque les marxistes-authentiques mirent la main sur la C.G.T.U. en 1924, anarcho-syndicalistes et syndicalistes-révolutionnaires firent des choix divers (C.G.T. ou C.G.T.-S.R.).
La question se posa de nouveau en 1947, la C.G.T. étant devenue un marchepied du Parti communiste français, lui-même antenne diplomatique des empereurs rouges de Russie. Les militants anarcho-syndicalistes, syndicalistes réformistes et syndicalistes révolutionnaires se retrouvèrent pour constituer la C.G.T.F.O., seule confédération syndicale pouvant faire référence à la Charte d’Amiens.
La mise en cause de l’indépendance de l’action syndicaliste n’est pas l’apanage des seuls partis politiques, et ceux-ci ne se montrent pas aujourd’hui agressifs envers l’indépendance syndicale de la fa-çon qu’ils le firent jusqu’à la première guerre mondiale.
A l’orée de la seconde guerre mondiale, le corporatisme fut instauré en France, avec l’aide d’anciens syndicalistes convertis au « salut public ». L’unité organique, envisageable dès le 15 novembre 1940 entre la C.G.T. et la C.F.T.C. par le Manifeste des douze, se fondait sur l’acceptation de « la subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général ». « L’anticapitalisme » qui y était affirmé présageait sans doute le « socialisme autogestionnaire » de la C.F.D.T., dont l’expérience a montré qu’il n’était rien d’autre qu’un corporatisme « soft » et auto-consenti, issu du creuset de la doctrine so-ciale de l’Église catholique.
Depuis cette époque, le combat des syndicalistes contre le corporatisme est un combat de tous les jours contre tous ceux qui – patronat, État, partis, Églises… – préconisent cette évolution sociale. Aujourd’hui, les gouvernants (et les aspirants à la gouvernance) veulent accélérer la mise en œuvre d’institutions intégrant les syndicats à l’État. Il serait heureux que les représentants des syndicats n’aillent pas en proposer d’autres eux-mêmes.
Contre la mise en cause de la classe salariale en tant que classe organisée par ellemême et pour ellemême, la réunion des syndicalistes indépendants sera encore une fois déterminante, quelles que soient leurs « écoles syndicalistes ». L’actualité de la Charte d’Amiens, ce n’est pas seulement durant les Congrès, c’est le combat de chaque jour entre chaque Congrès.

Article paru dans l’édition n°184 de « l’Anarcho-syndicaliste »
Novembre/décembre 2014

« L’ANARCHO-SYNDICALISTE »
Imprimerie spéciale de L’Anarcho-Syndicaliste
Fondateur de publication : Alexandre HEBERT
Directeur : Christophe BITAUD

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