L’Anarcho-Syndicaliste n° 222 – Janvier 2021

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N° 222 – Janvier 2021 – Le numéro : 2 €

BILAN DE LA TRAHISON
DU MANDAT A F.O. 2017-2020


PRÉSENTATION

Poursuivant leur analyse critique de la situation économique, sociale et syndicale, ainsi que leurs actions pour remettre le syndicalisme sur ses bases fondatrices – particulièrement la Charte d’Amiens, les militants de l’U.A.S. dressent et fournissent, à travers ce numéro exclusivement dédié, un bilan de la trahison du mandat de la C.G.T.-F.O. depuis 2017.

Nous appelons tous les militants conscients de la lutte à mener pour l’émancipation des travailleurs, tant de la C.G.T.-F.O. que d’autres organisations, sidérés ou victimes des prises de position iniques et de la violence organisée contre les mouvements sociaux (Gilets-jaunes, Comités de résistance, soignants, restaurateurs, indépendants, etc…), révoltés par la collaboration de classe, de lire l’intégralité de ce texte.

S’ils en partagent l’analyse et le désir de poursuivre un engagement dans la recherche de l’amélioration des conditions matérielles et morales de tous les travailleurs et dans la lutte contre toutes les oppressions, et, en toute liberté à l’égard de leur conviction et in dépendance à l’égard des logiques de partis, d’Églises et de sectes, de participer avec nous à la perpétuation concrète du syndicalisme de la Charte d’Amiens.

Évidence du fonctionnement syndical : nous assurerons une parfaite confidentialité de nos éventuels échanges.

Union des Anarcho-Syndicalistes,
17 janvier 2021.

BILAN DE LA TRAHISON DU MANDAT A F.O. 2017 – 2020

Par trahison, on entend, au plan syndical, le non-respect des statuts, des résolutions générales et des résolutions des Congrès confédéraux, le non-respect de l’histoire de l’organisation syndicale Force Ouvrière dans tous ses engagements, le non-respect du mandat.

A titre d’exemple le Préambule des Statuts est fort clair :

« Considérant que le syndicalisme ouvrier ne doit pas lier son destin à celui de l’État, ni s’associer à des groupements politiques quelconques, dont l’objectif est la conquête de cet État et l’affermissement de ses privilèges, l’organisation syndicale réalisera son programme et ses perspectives en toute indépendance…

… A cet effet, elle peut s’engager, en prolongement de sa propre action, dans des coalitions avec des organisations syndicales et coopératives, à condition que ces organisations aient un caractère démocratique et que leurs objectifs soient analogues aux siens. Le but de ces coalitions sera d’améliorer la condition des travailleurs dans tous les domaines et de s’acheminer vers une démocratisation généralisée de l’économie ». Et l’article 1er des Statuts : « La Confédération Générale du Travail Force Ouvrière régie par les présents statuts, a pour but de grouper, sans distinction d’opinions politiques, philosophiques et religieuses, toutes les organisations composées de salariés conscients de la lutte à mener contre toutes les formes d’exploitation, privées ou d’État, pour la disparition du Salariat et du Patronat et désireux de défendre leurs intérêts moraux et matériels, économiques et professionnels ».

Ce qui oblige F.O. à revendiquer dans le cadre de « son programme » indépendant.

Ce qui exclut tout « syndicalisme d’accompagnement », lequel se limite, comme la C.F.D.T., d’amender le programme patronal ou gouvernemental.

Ce qui oblige à ne revendiquer et lutter que pour obtenir l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleuses et travailleurs.

Ce qui exclut de signer des accords qui dégradent les conditions de travail et de vie des travailleuses et travailleurs.

Ce qui oblige à un fonctionnement démocratique interne, quelles que soient les opinions, pourvu qu’il s’agisse, ensemble, d’aller vers « une démo cratisation généralisée de l’économie ».

Ce qui exclut toute « chasse aux sorcières » en interne à F.O. et d’avoir pour programme la disparition de « toutes les formes d’exploitation privées ou d’État », soit de « l’exploitation de l’homme par l’homme ».

1 – LES ORDONNANCES MACRON EN 2017 : F.O. ~ LA BOTTE DE LA C.F.D.T. ET DU GOUVERNEMENT

Ce petit bilan, bien sûr, n’aurait eu aucun sens avec Bothereau, Bergeron et Blondel, au Secrétariat général de la CGT-FO. Avec l’acceptation des Ordonnances Macron par Mailly, en 2017, pour la première fois, le Secrétaire général de F.O. a cessé de pratiquer le syndicalisme libre et indépendant pour pratiquer le syndicalisme d’accompagnement et ce en compagnie de la C.F.D.T. La logique du syndicalisme d’accompagnement consiste à se féliciter d’éviter le pire, quand bien même les ordonnances Macron relève de la casse sociale la plus brutale.

Pour F.O., Mailly avait l’obligation de respecter le mandat, de refuser la pratique des Ordonnances en tant que telle. Car Bothereau avait condamné cette pratique en 1958 et Bergeron en 1967 et 1981, car pratique liberticide. Mailly devait en faire de même. Mais on pouvait lire ce genre de bilan : « Premier constat : la concertation, qui s’est engagée le 9 juin dans le cadre du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, a été « loyale et sincère ». Elle a permis à la C.F.D.T., mais aussi aux autres organisations syndicales qui ont joué le jeu de la concertation (la C.F.T.C. et F.O.) en faisant leur travail syndical, de retoquer ou d’infléchir nombre de points qui étaient à l’origine dans les cartons du gouvernement : le seuil de déclenchement des plans de sauvegarde de l’emploi, à partir de 10 salariés, n’a par exemple pas été relevé comme le gouvernement le souhaitait; l’hypothèse d’autoriser la négociation collective sans délégué syndical dans les entreprises de 50 à 300 n’a pas résisté à la ferme opposition de la C.F.D.T.; les délais de recours devant les prud’hommes, actuellement de 24 mois, sera réduit à 12 mois, mais ce ne sont pas les 6 mois annoncés lors de la dernière séance de concertation du 23 août. Sur l’articulation entre accords de branches et entreprises, la C.F.D.T. estime avoir été entendue, avec un nouveau domaine réservé à la branche, sur la gestion et la qualité de l’emploi, qui déterminera notamment les modalités de recours aux C.D.D. (mais pas les motifs, qui restent dans la loi) et aux C.D.I. de chantier ».

C’est le genre de propos qu’a tenu Mailly durant des mois pour justifier son approbation des ordonnances Macron. Sauf que le commentaire ci-dessus est le fait de la C.F.D.T. (https://www.cfdt.fr/portail/actualites/emploi-/-formation/-video-ordonnances-laurentberger-pointe-une-occasion-manquee-srv1_511385). Mais bien malin qui pouvait et qui peut faire la différence !

Pour le syndicalisme de la trahison, il suffit de passer sous silence et que les ordonnances sont une pratique liberticide, qui nie le principe de la négociation collective (à la fin de la prétendue discussion, le gouvernement décide seul) et la destruction du droit social que laissent passer, en 2017, la C.F.D.T., la C.F.T.C. et Mailly, pour F.O. A titre d’exemple : fusion de l’ensemble des institutions représentatives du personnel, qui fait perdre 200.000 mandats syndicaux, interdiction de se représenter après trois mandats; ce qui livre l’élu syndical au bon vouloir patronal, sans protection. Quel syndicaliste peut approuver la destruction programmée du syndicalisme dans les entreprises ? Sans surprise le journal patronal Challenges du 30 août 2017 écrit : « Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de Force ouvrière (F.O.), ne semble pas très inquiet. Et pour cause, ce syndicaliste de 64 ans est devenu l’homme-clé de la réforme ». Mais le C.C.N. de septembre 2017 devait apporter un démenti à Mailly ainsi qu’aux Secrétaires confédéraux qui avaient approuvé les ordonnances Macron, Veyrier ou Souillot (et d’autres qui ne sont plus en fonction).

Le Congrès confédéral d’avril 2018, dans sa Résolution générale, devait mettre les choses au point, c’est-à-dire devait respecter les statuts, l’histoire, le mandat : « Pour le plus grand bonheur du patronat, fusion et regroupement des institutions sont facilités avec les ordonnances du 22 septembre 2017 dites « Macron » consacrant la fusion de l’ensemble des I.R.P. en un Comité Social et Économique (C.S.E.) et entraînant la disparition programmée de 200.000 mandats d’élus, synonyme d’une attaque considérable envers la représentation de proximité ».

La Résolution précise la condamnation : « Le Congrès appelle ses militants dans les entreprises à rejeter la création d’une telle instance ».

Et encore : « Le Congrès revendique un rétablissement intégral de la hiérarchie des normes ce qui aura nécessairement pour conséquence la suppression de la nouvelle architecture du Code du travail et donc l’abrogation de la loi travail et des ordonnances Macron ».

Mais Pavageau, nouveau Secrétaire général de F.O., a l’imprudence d’annoncer, lors du C.C.N. du 28 septembre, son intention de comprendre, voire rectifier, le mode de financement de F.O. par l’État, de savoir comment les sommes perçues se répartissent, pour qui ? Ce qui provoque une sainte alliance de ceux qui n’ont pas envie que l’on pose ce genre de questions et l’éviction de Pavageau. Une élection a lieu dans de singulières conditions, avec une « commission de sages » qui n’existe pas dans les Statuts. Veyrier, qui a soutenu les ordonnances Macron n’a, a priori, aucune chance d’être élu, puisque la Résolution générale condamnant les ordonnances Macron a obtenu 96% des voix. Et ce d’autant plus qu’en la matière, l’article 6 des Statuts oblige les responsables de Fédérations et d’U.D. à respecter le vote des militants de base, tel qu’exprimé lors du Congrès confédéral. Il semble que le respect du mandat ait été supplanté par le carriérisme dans l’appareil : le candidat à 4% se retrouve élu avec 45% !

La question est : élu pour respecter la Résolution générale du Congrès d’avril 2018 (et des précédents) comme les Statuts, ou pour reprendre le syndicalisme d’accompagnement avec la C.F.D.T. comme en 2017 avec les ordonnances Macron ?

2 – LE COMMUNIQUÉ DU 6 DÉCEMBRE 2018 CONTRE LES GILETS-JAUNES

Alors qu’aucun communiqué commun n’a jamais été adopté par les appareils syndicaux pour dénoncer la baisse des A.P.L. par le gouvernement Macron, sa politique de classe en faveur des 1% les plus riches (et les ordonnances Macron auraient mérité un tel communiqué), voilà que, le 6 décembre 2018, est adopté un communiqué commun.

Mais ce n’est pas pour revendiquer : par exemple le rétablissement des C.H.S.C.T., ou la liberté du nombre de mandats électifs, dont seul le suffrage universel doit juger. Non, c’est pour dénoncer un mouvement social populaire : les Gilets-jaunes. Suite à une réunion au siège de la C.F.D.T., ce communiqué déclare : « Aujourd’hui, dans un climat très dégradé, la mobilisation des Gilets-jaunes a permis l’expression d’une colère légitime. Le gouvernement, avec beaucoup de retard, a enfin ouvert les portes du dialogue. Nos organisations s’y engageront, chacune avec ses propres revendications et propositions, en commun chaque fois que cela sera possible ».

Le mouvement des Gilets-jaunes serait « légitime », mais à la condition de s’en défier : « Le dialogue et l’écoute doivent retrouver leur place dans notre pays. C’est pourquoi nos organisations dénoncent toutes formes de violence dans l’expression des revendications ». Mais quel mandat avaient reçu ces dirigeants pour oser dire : « Le gouvernement a enfin ouvert les portes du dialogue ». Que signifie cet acte d’allégeance face à un gouvernement qui pratique le mépris des Syndicats et des « corps intermédiaires », comme avec les Ordonnances de 2017 ?

Comme on le verra, à chaque acte d’allégeance, de suivisme avec la C.F.D.T., le gouvernement répondra : casse sociale liberticide.

Car c’est la C.F.D.T. qui est à l’initiative de ce communiqué, rédigé au siège de la C.F.D.T. Du coup le 6 janvier 2019, Berger, Secrétaire général de la C.F.D.T., prétend que les Gilets-jaunes sont des « factieux », et que « On a en face de nous, pour un certain nombre de Gilets-jaunes, des gens qui veulent renverser la démocratie, des gens d’extrême-droite et peut-être d’extrême-gauche ». Et pour ceux qui ont signé avec lui le communiqué du 6 décembre, il éclaire sa pensée : « Dès le début j’avais dit qu’il y avait une forme de totalitarisme dans l’exercice de ce mouvement, on y est ! » (émission « Questions politiques France Inter/Le Monde »). Bien sûr, dès que le peuple se révolte, c’est le « totalitarisme » ; affirmation qui est un stéréotype de la pensée réactionnaire ! Quant à l’amalgame avec l’extrême-droite, les tentatives d’intrusion du Bastion Français (groupuscule d’extrême droite succédant au G.U.D., fondé en 1968) ont été si grossières, par rapport aux forces de l’ordre, que cela contraindra le gouvernement à interdire ce groupe (qui renaîtra sous une autre forme).

Tirant parti de cet acte d’allégeance, le gouvernement va pouvoir cibler le seul mouvement des Gilets-jaunes (lequel comporte nombre de syndicalistes, comme aucun dirigeant syndical ne peut l’ignorer) et réprimer par une violence extrême (10.852 personnes placées en garde à vue, « chiffre ahurissant », comme le dit La Chronique d’Amnesty International 401/402 de mai 2020), avec des militants éborgnés ou à la main arrachée. N’ayant aucun rapport de force syndical face à lui, le pouvoir politique va voter la loi n°2019-290 du 10 avril 2019 « visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations », atteinte inadmissible au droit de manifester, y compris pour les syndicats.

Et c’est là qu’est la trahison, face au mandat : les mêmes dirigeants syndicaux F.O.-C.F.D.T.-C.G.T. ne publieront pas de communiqué pour dénoncer la répression gouvernementale, réclamer justice pour les manifestants violentés par les forces de police, exiger l’abrogation de la loi liberticide. Un silence complaisant des appareils syndicaux, sans aucune accusation de « totalitarisme » contre le gouvernement, aucun constat que les « portes du dialogue » n’ont jamais existé, aucune déclaration commune de soutien aux victimes de la violence policière organisée par le gouvernement (avec quelques préfets particulièrement complaisants). Le communiqué du 6 décembre 2018 a quémandé le dialogue à un pouvoir qui ne veut pas des syndicats de salariés, en profitant de la mobilisation des Gilets-jaunes. Pour les salariés cette posture n’a rien donné, si ce n’est une loi liberticide de plus et une répression policière si violente qu’elle met en question le droit, pour tous, de manifester.

3 – MAI 2019 ET LA DÉCOTE : POURQUOI CETTE SIGNATURE N’ENGAGE PAS F.O.

La prise de position du C.C.N. des 27 et 28 mars 2019 sur les retraites est claire et fondée : « Le C.C.N. rejette toute tentative du gouvernement de reculer encore l’âge de départ à la retraite, comme il dénonce et rejette toute volonté du gouvernement d’allonger la durée d’activité ou d’inciter à retarder l’âge de départ, soi-disant pour financer la dépendance. Le C.C.N. rappelle que ce risque doit être pris en charge par la Sécurité sociale et financé par une cotisation sur l’ensemble des revenus, y compris ceux de capitaux ».

D’où une question basique : comment quelques semaines plus tard, la direction confédérale F.O. a- t-elle pu signer l’A.N.I. (Accord national interprofessionnel) de mai 2019 qui porte la décote à 64 ans ? Alors que la décote a toujours été condamnée par toutes les résolutions des Congrès confédéraux et que cette signature trahit le principe inscrit dans les statuts de F.O. : « Améliorer la condition des travailleurs dans tous les domaines ».

  • La Résolution générale adoptée à 96% lors du Congrès confédéral d’avril 2018 : « Le Congrès… réaffirme sa condamnation de l’accord ARRCO-AGIRC de 2015 que F.O. n’a pas signé. Cet accord proroge une moindre revalorisation des pensions, réduit les retraites servies à partir de 2019 de 10% pendant 3 ans. Cette mesure inique va obliger les futurs retraités à ne partir qu’à 63 ans pour ne pas perdre de droits ». Et cette Résolution générale de 2018 engage F.O. jusqu’au prochain Congrès confédéral.
  • La Résolution générale du Congrès de 2015 condamnait les « contre-réformes de 1993, 2003, 2008, 2010 et 2014 », car elles « dégradent non seulement les conditions de départ à la retraite, mais également les niveaux de pension ».
  • La Résolution générale du Congrès de 2011 revendiquait (p.245), « la suppression des décotes ».

Alors, de quel droit, cette signature de F.O. pour la décote à 64 ans, au lieu de revendiquer la « suppression des décotes », et de dénoncer une mesure considérée par tous à F.O., comme « inique » en avril 2018 ?

C’est ça la trahison du mandat, puisque c’est contraindre le monde du travail à travailler jusqu’à 64 ans, sous peine d’une sanction financière lourde.

Ce qui revient à « dégrader la condition des travailleurs » et non à l’améliorer.

Hormis les ordonnances Macron, finalement condamnées par le Congrès confédéral F.O., en avril 2018, jamais F.O. ne s’était abaissée à trahir l’intérêt des travailleurs.

La C.F.D.T., qui avait signé l’A.N.I. de 2015, signait à nouveau : « Seul bémol, le mécanisme de bonus-malus mis en place en 2015 et qui a commencé à s’appliquer en 2019, appelé coefficient de solidarité, continuera de s’appliquer. Les partenaires sociaux n’ont pas obtenu du Medef qu’il revienne sur sa position. Le patronat en a fait une position de principe, restant inflexible pendant toutes les discussions ». (https://www.cfdt.fr/portail/actualites/protection-sociale-/-solidarites/-video-retraites-complementaires-ce-que-contientl-accord-srv1_681298).

Ce que la CFDT reconnaît c’est que seuls les patrons s’y retrouvent quand il s’agit de faire payer les salariés. La décote, ça ne plaît qu’au Patronat. Alors pourquoi ne pas revendiquer de faire payer les revenus du Capital, dont la part ne cesse de croître ? Impossible de le savoir, car à la C.F.D.T., on ne revendique pas : on amende le texte gouvernemental-patronal. Mais on ironise, dans la même déclaration : « Même F.O., qui n’était pas signataire en 2015, pourrait approuver l’accord. Une fois n’est pas coutume, cet accord sur les retraites fait presque consensus. Une sorte d’exploit dans la période ».

Sauf que, si le Bureau national de la CFDT approuvait l’A.N.I. du 10 mai 2019 à l’unanimité, la Commission Exécutive de mai 2019 ne pouvait que demander l’annulation de la signature F.O. pour la décote.

Au lieu de quoi, et alors que cette disposition n’existe pas dans les Statuts, il y eut un vote : 15 pour la décote et 14 contre.

Or l’article 7 des Statuts est clair : « La Commission Exécutive assure, avec le Bureau Confédéral, la gestion de la Confédération Générale du Travail Force Ouvrière sous le contrôle du Comité National dans l’intervalle de ses réunions ». La gestion, c’est-à-dire l’application des résolutions prises en la matière. Et, comme les résolutions de 2011, 2015 et 2018 sont contre la décote, et que la décote n’améliore pas la condition des travailleurs, la C.E. ne pouvait que gérer l’annulation de la signature pour la décote, signature illégitime et déshonorante.

Au demeurant, où les 15 signataires pour la décote, qui sont, ipso-facto, sur la position, tant de la C.F.D.T. que du Medef, peuvent-ils dire qu’ils respectent le mandat et « améliorent » la condition des travailleurs ? On peut, à bon droit, considérer qu’ils le trahissent en trahissant les travailleurs. Certes le 16 mai 2019, la déclaration de la C.E. assure qu’elle est opposée : « à toute forme de dispositif, dit de bonus-malus, dont celui envisagé par le gouvernement dans le cadre de la réforme de retraites, conduisant à contraindre les salariés à travailler jusqu’à 63 – 64 ans ».

Comme le gouvernement annonce la décote jusqu’à 64 ans, et que nul ne peut ignorer que la « norme » européenne est à 67 ans, – elle déjà appliquée dans plusieurs pays, – il n’est pas acceptable de signer la décote d’une main, tout en écrivant, de l’autre, qu’on pourrait ne pas le faire. L’unique façon d’être contre, c’est d’annuler la signature de F.O. à l’A.N.I. de mai 2019.

Que signifie cette comédie, en octobre 2018, où il fallait se scandaliser pour une espèce de fichier pas appliqué (inapplicable et inepte), en octobre 2018, et mettre en cause le maintien du Secrétaire général, Pavageau, pour, quelques mois plus tard, ne pas se scandaliser de la décote à 64 ans, et ne poser en aucun cas la question du maintien du Secrétaire général ?

Le plus dommageable c’est que le C.C.N. de septembre 2019, oubliant ses exigences de septembre 2017 et sa Résolution de mars 2019 refusant la décote, allait faire silence sur cette signature contraire au syndicalisme de la Charte d’Amiens, validant, ipso-facto, que F.O. s’aligne sur la C.F.D.T.

C’est-à-dire que la défense de l’intérêt des travailleurs pour son amélioration n’est plus la raison d’être de F.O. Elle est de maintenir l’appareil de l’organisation syndicale, quitte à signer des textes qui bafouent les statuts et résolutions de F.O., tout en se montrant complaisant avec le pouvoir politique et l’État, lequel est devenu, il est vrai, le premier financier.

Allégeance et trahison, pour rien !

Faut-il rappeler que le rapport Moreau de 2013 proposait (p.88) : « Les cotisations d’assurance vieillesse constituent en effet la ressource principale des régimes. Une augmentation de la cotisation déplafonnée de 0,1 point par an pendant 4 ans, de 2014 à 2017, partagée entre part salariale et part patronale, rapporterait 2,6 milliards d’euros au régime général » ?

Sauf que le Medef étant contre l’augmentation de cotisation, déjà en 2013, pour tout renvoyer vers le salarié, alors il ne resterait que la décote ! En tant qu’organisation libre et indépendante, il s’agit de revendiquer sur son programme : l’augmentation de la cotisation, y compris pour l’employeur, et faire payer les revenus du Capital. C’est un choix de société.

Ou bien, à la remorque de la C.F.D.T., Force Ouvrière fait du corporatisme en donnant du texte patronal-gouvernemental une version « moins pire » que prévu. Mais nous trahissons le mandat. Et nous permettons au gouvernement d’aller au bout de sa logique favorable aux actionnaires et aux patrons : liquider la retraite par répartition pour la retraite par points.

La signature de l’A.N.I. en mai 2019, a non seulement détérioré la condition des travailleurs, elle a facilité l’idée fixe du Medef : faire peser sur les seuls travailleurs tout le financement des retraites. Avec en sus, la C.S.G., qui fait peser sur eux la protection sociale. F.O. était, avec Blondel, contre la C.S.G. et à bon droit.

Mais le gouvernement Macron, assuré de l’allégeance syndicale, ne propose pas une réforme pour que baisse le niveau des dividendes, qui a doublé en trente ans ! Non, ce sont les travailleurs qui doivent payer, les cheminots (et autres) traités d’affreux privilégiés ! Aussi, encouragé par la duplicité des appareils syndicaux pour la décote, le gouvernement pouvait annoncer l’épisode suivant de la casse sociale : la retraite par points !

4 – MAUVAISE TACTIQUE CONTRE LA RETRAITE PAR POINTS AVEC « CONFÉRENCE DE FINANCEMENT »

C.F.D.T.

Le 12 juin 2019, lors de sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, le premier ministre Édouard Philippe annonçait l’introduction d’un âge pivot à 64 ans dans le système universel de retraite en préparation actuellement, pour, selon lui, inciter les Français à travailler plus longtemps, puis le Haut- commissaire Delevoye en charge de la réforme des retraites, annonçait la liquidation de la retraite par répartition, pour la retraite par points. Si F.O. se déclare contre, la C.F.D.T. reconnaît que la logique de la décote va vers la liquidation de la retraite par répartition, et approuve la retraite par points, sans surprise, puisque la trahison, au sein du mouvement syndical, est sa fonction, plusieurs fois réitérée depuis E.Maire. Alors que la retraite par points, c’est une catastrophe pour les salariés et une aubaine pour les patrons. Tel est le cas en Suède. Les résultats ont été publiés par Libération du 11 octobre 2018 : « Dans un système de points qui assure les mêmes droits pour tous en fonction du temps que l’on a travaillé, les carrières hachées ou incomplètes sont forcément pénalisées. Ceux qui ont eu beaucoup recours à du travail à temps partiel, comme c’est souvent le cas pour les femmes, ont connu des périodes de chômage, ont effectué des études longues ou encore ont été longtemps en formation, ont mécaniquement accumulé moins de points. Malgré les mécanismes de compensation mis en place et qui seront au cœur des discussions en France, il y a donc eu beaucoup de perdants en Suède. Une étude parue en mars 2017 a montré que 92% des Suédoises auraient eu des retraites supérieures dans l’ancien système et 72 % des hommes ».

Il faut, alors, contre cette réforme qui est un changement de modèle de société, mettre en place le rapport de force unitaire national obligatoire contre le gouvernement Macron. D’où une certaine perplexité, en lisant la Résolution générale du C.C.N. des 26 et 27 septembre 2019, car il y est moins question d’actions contre le gouvernement que « d’une vaste campagne de réunions publiques ». Ce qui aboutit au fait que F.O. est « prête à la grève » et que « F.O. soumet la proposition de rejoindre, par un appel interprofessionnel, la grève unie des syndicats de la R.A.T.P. et des transports à compter du 5 décembre ». Depuis quand F.O. « soumet la proposition de… » ? Et, pourquoi pas : « la proposition de proposer » pendant qu’on y est ! Mais la fin est plus directe : « préparer la grève interprofessionnelle dans l’unité la plus large »… Sauf qu’il s’agit pratiquement de soutenir la grève catégorielle du 5 décembre, comme indiqué au préalable.

Or la fonction de la Confédération est de confédérer, de « grouper » les revendications et les luttes, pas de se mettre à la remorque d’une grève catégorielle. Contre la retraite par points plus que jamais, dans l’unité d’action, c’est, en clair, avec la C.G.T. qu’il faut créer le rapport de force pour, au plan national, une grève générale interprofessionnelle nationale… à l’exclusion de la C.F.D.T. et des partisans de la retraite par points qui sont des adversaires. Ce qui passe par l’organisation de la convergence des luttes, dans le même temps. Et elles sont nombreuses, à commencer dans l’hôpital public. En 2019, il est visible que les arguments de Delevoye-Macron et consorts ne tiennent pas la route, le Medef vient de déclarer (Figaro du 19 novembre 2019) : « Il y a trois solutions pour résoudre le problème : augmenter les cotisations pour les salariés et pour les employeurs, je crois que ce n’est pas possible. La deuxième, qui est inacceptable, c’est de baisser les retraites, et la troisième, qui est la bonne solution, c’est de faire travailler plus longtemps les salariés et les fonctionnaires… ». Le problème est posé. Mais, contrairement à ce que dit le Medef, il est possible d’augmenter les cotisations, comme le rapport Moreau l’indique et de pérenniser le système par répartition, en l’améliorant. En sus, les retraites sont bien baissées, avec la décote !

Dans les faits, la Confédération FO va soutenir plus moralement que pratiquement la grève catégorielle du 5 décembre. Puis la direction confédérale va décréter une « trêve des conseurs », laissant les grévistes s’épuiser dans une lutte inégale, pour ne reprendre le soutien, plus symbolique qu’effectif, le 9 janvier. Il faut reconnaître que la direction confédérale C.G.T. fait la même chose : Martinez trahit les travailleurs des transports et de la R.A.T.P., en pratiquant la trêve qui, en fait, casse le mouvement. Il est vrai que l’appareil de la C.G.T. a le même problème que celui de F.O. : défendre les travailleurs d’abord ou défendre l’ap pareil d’abord, les copains de l’appareil d’abord ? Tout ceci entraîne l’échec de la grève initiée le 5 décembre, sans que les confédérations n’aient organisé, comme cela leur revenait, la convergence des luttes.

A ce petit jeu, la C.F.D.T. reprend la main. Elle va proposer une « conférence de financement », alors qu’elle est pour la retraite par points ! La C.F.D.T. déclare : « Sur la gouvernance à long terme, il semblerait que les points de vue de l’ensemble des partenaires sociaux ne soient pas si éloignés exception faite de la C.G.T. … Tous les participants ont réaffirmé que le projet de loi en l’état actuel ne faisait pas assez confiance aux représentants des salariés et des employeurs, qui étaient pourtant les principaux financeurs du système ». (https://cfdt.fr/portail/actualites/protection-sociale-/-soli-darites/reforme-des-retraites-premier-round-de-discussion-pour-la-conference-de-financement-srv1_1097263).

Est-ce que cela veut dire que la direction confédérale F.O. serait pour ? Toujours est-il que, dans le cadre gouvernemental de cette conférence, le 13 février, le Secrétaire général de F.O., Veyrier, a déclaré : « Je voudrais quand même souligner, malheureusement je le déplore du point de vue de notre attachement au dialogue social et à la négociation collective, qu’il ait fallu finalement attendre que la grève se déclenche le 5 décembre, qu’il y ait des mobilisations importantes, pour qu’on ouvre véritablement ces discussions ». Donc, la « conférence sur le financement » serait, pour F.O. la possibilité d’ouvrir « véritablement » des discussions ? Position intenable, car cette conférence a été explicitement demandée par la C.F.D.T., opposée au mouvement du 5 décembre !

On pouvait attendre une mise au point, au nom de la liberté et de l’indépendance, lors du la Commission Exécutive confédérale du 19 février 2020. La C.E. qualifie cette conférence d’« impasse » et « donne mandat en conséquence au Bureau confédéral pour décider d’en sortir le moment opportun ». Quelle délicatesse dans l’expression que ce « moment opportun » !

Depuis quand, dans l’histoire de F.O. utilise-t-on ce genre de verbiage, avec collaboration de classe, intégration dans l’appareil d’État, pour en revenir « le moment opportun »… alors que le gouvernement, en 2020 comme en 2017, se moque de la « discussion » et ne tient aucun compte de ce type de collaboration.

Il le prouve en annonçant, le 29 février, qu’il refusera du 49-3, pratique dénoncée par le Conseil d’État qui déclare : « le Conseil d’État souligne que le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et partant de sa constitutionnalité ». Les membres du Conseil d’État ne sont pas des camarades, mais, dès le 23 janvier, ils ont mis en doute la « constitutionnalité » de la démarche.

D’où l’obligation absolue de condamner la Conférence de financement et de ne pas y participer. Tout en s’appuyant sur l’avis du Conseil d’État pour condamner tant la pratique des Ordonnances (c’est aussi la tradition à F.O. !) que la retraite par points.

5 – LE COMMUNIQUÉ « UNION SACRÉE » DU 19 MARS 2020, DÉSHONNEUR DU SYNDICALISME EN FRANCE

Nous sommes plus proches, face à la Covid-19, des méthodes de l’État policier que d’une politique nationale de santé. Dès son allocution du 12 mars, Macron a enlevé le masque et révélé le véritable enjeu. Il a déclaré : « L’ensemble des gouvernements européens doit prendre les décisions de soutien de l’activité puis de relance quoi qu’il en coûte… Je ne sais ce que les marchés financiers donneront dans les prochains jours, et je serai tout aussi clair. L’Europe réagira de manière organisée, massive pour protéger son économie. Je souhaite aussi que nous puissions nous organiser sur le plan international, et j’en appelle à la responsabilité des puissances du G7 et du G20. Dès demain, j’échangerai avec le président Trump pour lui proposer une initiative exceptionnelle entre les membres du G7, puisque c’est lui qui a la présidence. Ce n’est pas la division qui permettra de répondre à ce qui est aujourd’hui une crise mondiale, mais bien notre capacité à voir juste et tôt ensemble et à agir ensemble ». C’est là le fin mot de l’histoire : masquer « une crise financière et économique », avec acte d’allégeance à Trump ! Le spectre en est présent depuis plusieurs années. Tout le monde le sait.

Car la crise de 2008, dite des subprimes, n’a conduit à aucune mesure contre les produits dérivés, les fonds « vautours », la financiarisation de l’Économie. Il n’a pas été décidé que les banques centrales n’allaient, désormais, verser de l’argent public qu’aux États et plus aux banques privées, provoquant la « dette » des États. Non, la B.C.E. a versé aux banques privées 1.000 milliards d’euros en 2012, elle a recommencé en 2015, elle continue. A la place, on a fait trinquer les peuples en détruisant les systèmes de santé, les systèmes de retraite, les services publics en général. On a privatisé tous azimuts…Et cela sans régler un seul instant la crise du système capitaliste avec une économie financiarisée.

Une crise sanitaire devient prétexte à masquer une vraie crise financière. Alors les peuples, sous le prétexte de santé publique, sont tenus à être domestiqués pour une noble cause, masquant, à grand peine, une cause qui concerne d’abord l’intérêt de 1% de l’humanité, les exploiteurs et profiteurs de l’humanité. Du coup, on comprend que l’ensemble des mesures annoncées sont d’abord sécuritaires et autoritaires.

D’autant plus que, plutôt que de décréter un état de crise sanitaire, le gouvernement choisissait de décréter un état d’urgence, renvoyant à sa propre loi officiellement de « lutte contre le terrorisme », en fait intégrant le droit de la guerre (c’est-à-dire la loi d’avril 1955, concernant la guerre d’Algérie) dans le droit commun. Dès lors c’est une logique répressive et punitive qui est mise en place, avec le couvre-feu, mesure de guerre, comme mesure majeure et de contrôle de la population.

Mais on a le droit d’ être perplexe en lisant le communiqué du Secrétaire général de F.O., du 19 mars : « F.O. prend acte des annonces du Président de la République quant aux dispositions requises pour faire face à la crise sanitaire, sociale et économique due à l’épidémie de Coronavirus ». Pourquoi « prendre acte » ? Pourquoi pas : contester et poser ses propres revendications ?

C’est le contraire, car il est noté, en sus, pour F.O., qu’avec son discours, Macron « tend à rompre avec une lecture strictement budgétaire et comptable qui a trop longtemps prévalu ». Or il n’y a eu aucune annonce d’abandon de cette « lecture » de la part de Macron !

On ne peut pas suivre le communiqué F.O. qui demande, en sus, d’« assurer le suivi avec les organisations syndicales et patronales de la situation économique et sociale dans chaque département ». Est-ce le rôle des syndicats de salariés de cogérer le suivi de mesures jamais négociées, au préalable, avec les syndicats, mais imposées par un gouvernement dont la politique antisociale ne fait aucun doute ? Cette façon de travestir la réalité sociale en inventant un gouvernement qui romprait avec une lecture comptable, cette volonté de faire du suivi gouvernemental avec le Patronat, c’est de la collaboration de classe : pas plus.

Quelques jours plus tôt, le 16 mars, le Président de la République avait lancé un appel en invoquant « l’Union sacrée ». N’étaient dupes de cette mascarade de ce vocabulaire viril et guerrier que les tartuffes. Car, en droit, la France n’est pas en guerre, Paris n’était pas bombardé, le gouvernement n’était pas réfugié à Bordeaux, l’Alsace n’était pas envahie par les troupes ennemies. Foutaise, comme aurait dit Blondel !

Et cependant, le 19 mars, comme un seul homme, ils étaient là au garde-à-vous et les organisations syndicales de salariés oubliaient tout en un quart de seconde. Oubli de la canaillerie antisociale du gouvernement Macron-Philippe, champion de la retraite par points, crachant à la figure du personnel de santé en grève, 90% des urgentistes durant des mois et des 1.200 chefs de service démissionnant, au plan administratif, en janvier 2020. Deux mois plus tard, tout est oublié : la suppression de 4.200 lits d’hôpital c’est-à-dire des équipes soignantes et du matériel, par Macron en 2018; la fermeture de la principale usine de production de masques (200 millions) délocalisée en Chine en 2018; le catastrophique plan Santé 2022 qui fantasme sur la télémédecine pour continuer à organiser le manque de moyens pour l’hôpital public. Oublié le Medef adversaire de classe, à fond pour la retraite par points et les ordonnances Macron de 2017 et la loi Travail de 2016. Tout est oublié et, c’est le problème, y compris le mandat, et à commencer par le mandat.

Depuis quand les secrétaires généraux de F.O. (et de la C.G.T.) ont-ils reçu mandat pour pactiser avec le Medef ? Que signifie : « appeler les pouvoirs publics et les entreprises » ? Alors qu’il s’agit de défendre les services publics, en particulier de santé. On donne dans le genre œcuménique avec les syndicats classiquement à l’eau bénite, la C.F.T.C. et la C.F.D.T.

Le prétexte du communiqué d’union sacrée du 19 mars 2020 est : « dans le contexte de crise sanitaire majeure ». Le décalage est si total entre l’aide aux entreprises (300 milliards) et l’aide aux services publics de santé (pas d’investissement en masques ni en tests, même pour les soignants) que l’heure, dès le 19 mars 2020, devrait être à la dénonciation. En aucun cas de légitimer l’action du gouvernement et de se mettre à sa remorque en l’appelant à « mettre en œuvre les moyens indispensables » sans en nommer ni chiffrer aucun, et en feignant de croire qu’il faut « suspendre » la lutte des classes.

Et F.O., dans tout ça ? La Commission Exécutive se tient avec une Déclaration le 20 avril 2020. Le militant de base, faute de procès-verbal ne connaît rien de la teneur des débats. Il faut tout de même espérer que le document signé avec le Medef le 19 mars 2020 a été critiqué et désavoué, car contraire tant au mandat qu’aux Statuts. Mais aucune désapprobation, nulle trace dans la Déclaration de la C.E. Est-ce que cela veut dire que la C.E. approuve la collusion avec le Medef du 19 mars 2020 ? Ou alors, par une opération d’amnésie générale, la C.E. aurait-elle « oublié » les pratiques de syndicat d’accompagnement tant pour la Conférence de financement qu’avec le Medef dans « l’union sacrée » ? Alors puisque la C.E. ne prend pas ses responsabilités et laisse faire, bien sûr la dérive vers la C.F.D.T. et le corporatisme ne peut que continuer.

Sauf qu’il y a une règle : comme à l’habitude ce comportement de compromission et de collusion, le 19 mars 2020, conduit le gouvernement à en profiter et à passer en force avec sa Loi du 23 mars (puis Ordonnance), et son article 11 : « Permettre à un accord d’entreprise ou de branche d’autoriser l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités de prise de ces congés définis par les dispositions du livre 1er de la troisième partie du Code du travail et par les conventions et accords collectifs applicables dans l’entreprise; – de permettre à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d’utilisation définis au livre 1er de la troisième partie du Code du travail, par les conventions et accords collectifs ainsi que par le Statut général de la Fonction publique;- de permettre aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ».

Quel rapport avec les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre un virus ? Aucun ! Mais pourquoi ne pas profiter de l’aubaine d’une telle soumission des appareils syndicaux pour mettre en cause la prise de congés payés et la semaine hebdomadaire. Le Medef en rêvait; grâce au communiqué commun avec lui, il l’a eu ! Bien sûr, les appareils syndicaux avaient immédiatement et ont l’obligation de demander, collectivement, l’abrogation de cette « Loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 », qui relevait de la provocation sociale et d’annuler le communiqué d’union sacrée. Mais, là, rien !

Néanmoins, réunie le 19 mai 2020, la Commission Exécutive de F.O. a publié un communiqué qui comporte une partie avec laquelle on ne peut qu’être d’accord : « La Commission Exécutive confirme son attachement à l’indépendance syndicale et à la pratique contractuelle. Elle dénonce la politique du gouvernement qui conduit à faire assumer les politiques publiques en matière économique et sociale aux organisations syndicales au travers de conférences dites sociales, chartes ou pactes sous tutelle de l’État ou de ses représentants et des régions ».

Le problème, c’est que nul n’ignore que participer à la conférence sur le financement des retraites, comme en janvier 2020, sous l’égide du gouvernement et à l’initiative de la C.F.D.T., c’est très exactement se retrouver, pour les organisations syndicales, « sous tutelle de l’État ». De même avec le communiqué d’allégeance aux pouvoirs publics et aux entreprises du 19 mars. On s’attend donc, dans ce communiqué de la C.E. confédérale « adopté à l’unanimité », à ce que soit condamnée la participation à cette Conférence de financement. Sauf que là, pas un mot : car la direction confédérale, le Secrétaire général, ont participé à cette Conférence « sous tutelle de l’État », début 2020 ! Idem pour la collaboration de classes explicite du communiqué du 19 mars !

Alors à quoi sert cette condamnation, dans les principes, si elle ne débouche pas sur une condamnation de la politique confédérale et du « pacte » du 19 mars, dans la pratique, exigeant l’abrogation de la loi du 23 mars ? Ce communiqué, valable dans le principe, accepte, dans les faits, la collusion avec le patronat et le gouvernement. La question devient : cela va durer combien de temps ce double langage, cette posture ? C’est intenable pour le devenir même de la Confédération Force Ouvrière.

6 – COMMUNIQUÉ D’ALLÉGEANCE DU 20 MAI, « SÉGUR DE LA SANTÉ » AVEC NOTAT ET LA C.F.D.T.

Du coup, le Secrétaire général de F.O., Veyrier, ayant vu sa pratique condamnée dans les principes, mais non pas sa pratique effective, que s’est-il passé ?

Sur R.F.I., ce 22 mai 2020, à la question du journaliste : « Le Ministre de la Santé va réunir les partenaires sociaux lundi prochain pour un Ségur de la Santé; c’est l’ancienne Secrétaire générale de la C.F.D.T., Nicole Notat, qui a été chargée de diriger, de canaliser les travaux. Tout d’abord rapidement est-ce que c’est un bon choix ? »…

… le Secrétaire général de F.O. répond : « Je ne veux pas juger, ni des personnes en fonction de leur passé, où, évidemment, il y a la proximité syndicale qui fait que cela peut attiser des tensions ou des interrogations. Mais je ne vais pas rentrer là-dedans, cela ne m’intéresse pas ».

Répondre cela, c’est à la fois être hors du mandat et des résolutions F.O., lesquelles font obligation au Secrétaire général de F.O., et être hors de son histoire. Car personne n’a oublié la grève initiée par F.O. (sous Marc Blondel) pour la défense de la Sécurité sociale, en novembre-décembre 1995. Avec, en face et ensemble, Notat et le Premier ministre Juppé; d’où ce slogan qu’entonnèrent tous les militants F.O. : « A bas le plan Juppé-Notat ! ». Et cela « n’intéresse pas » Veyrier ? Mais, de quel droit ?

Sauf qu’une fois engagé dans la compromission, sans sanction, c’est la collaboration de classe.

C’est fait, le 20 mai 2020, par une déclaration commune de tous les appareils syndicaux français et de la Confédération allemande, D.G.B., qui affirme : « L’initiative franco-allemande pour la relance européenne, présentée par le Président français et la Chancelière allemande le 18 mai, doit se concrétiser par la modernisation des modèles économiques européens, en plaçant la transition écologique au cœur de la nouvelle stratégie de croissance de l’Union européenne (UE). C’est une revendication de longue date du syndicalisme européen, nous ne pouvons que nous en féliciter ».

Il est précisé : « Nous avons besoin d’une stratégie de relance efficace, qui doit aller au-delà des 500 milliards d’euros annoncés par la France et l’Allemagne. Le plan de relance doit être accompagné d’un nouveau cadre financier pluriannuel ambitieux porté à au moins 2% du produit intérieur brut (PIB) européen ».

À aucun moment ce document ne fait la moindre référence à l’Europe antisociale qui, depuis trente ans, demande par directives successives, ou interventions annuelles de la Commission de

Bruxelles, – avec le système « two pack, six pack » depuis 2013 -, aux gouvernements des pays de l’U.E. d’appliquer aveuglément les dogmes libéraux : tout pour les multinationales et les banques, et rien pour les peuples et presque rien pour les services publics. Nos « dirigeants » syndicaux ont « oublié » le peuple grec, dont la tragédie sociale a signifié publiquement la vérité de cette « Europe » des lobbies multinationaux, avec plan de privatisations à outrance (les ports, les aéroports…) en échange de prêts accordés, non pour le peuple, mais pour que les Grecs remboursent les banques, tout en détruisant, en échange du prêt, les acquis démocratiques et sociaux, à commencer par les retraites. Puisque nos « syndicalistes » se félicitent du plan à 500 milliards d’euros pour les pays de l’U.E., on peut se demander : « est-ce que 500 milliards, c’est suffisant pour les pays, pour les peuples d’Europe » ? Or comme le soulignait, ce pour les amnésiques professionnels, la Tribune du 6 juin 2012, sous le titre : « Où sont passés les 1.000 milliards de la B.C.E. ? », ce sont bien 1.000 milliards d’euros que la B.C.E. avait consenti, en 2012, aux banques privées, et ce, contrairement au cas du peuple grec, sans rien exiger en échange ! Il fallait faire confiance aux banques privées pour que ces 1.000 milliards aillent, comme telle était la justification, à « l’économie réelle ». Le résultat fut le suivant, synthétisé dans le même article de la Tribune : « Ce sont les banques espagnoles (308 milliards), italiennes (265 milliards) et françaises (146 milliards) qui ont pris près des trois-quarts des 1.019 milliards octroyés par la B.C.E. en décembre et février. Contrairement à une idée répandue, cet argent n’a pas servi à fi- nancer l’économie réelle. Il a suivi un circuit très complexe, qui a fini par le faire revenir dans les comptes… de la B.C.E. ».

Donc, 500 milliards, c’est rien et ne remet pas en cause ce système ! Et si « dette » il y a, au niveau des États, à cause de cette crise, il n’est pas question de la faire payer aux travailleurs. Et si syndicats de travailleurs il y a, c’est pour le revendiquer sur leur programme de classe en faveur des travailleurs…pas pour faire acte d’allégeance aux gouvernements et à l’U.E. Ça, c’est l’intégration « sous la tutelle de l’État » condamnée par la C.E. de F.O., mais sans conséquence interne à F.O. !

Dès lors la trahison peut continuer. A preuve, la signature du Ségur de la santé par F.O., toujours à la remorque de la C.F.D.T., et sous contrôle de Notat ! Pourtant la Résolution générale adoptée lors du Congrès confédéral d’avril 2018 et qui s’impose à tous les militants, à commencer par le Secré taire général, est claire : « Le Congrès dénonce le rationnement de l’offre de soins induit par la mise en œuvre d’une étatisation régionalisée du système de santé via la création des agences régionales de santé (A.R.S.) et l’économie de plusieurs milliards d’euros réalisée par l’Assurance maladie sur le dos des hôpitaux et des établissements médico-sociaux. Les assurés sociaux en subissent injustement les conséquences… Le Congrès revendique la reconnaissance de l’Assurance maladie comme garante de l’accès aux droits et aux soins, et donc son rôle de coordination des modes d’exercice et d’orientation de l’assuré dans le parcours de santé. Réaffirmant les quatre fonctions fondamentales de l’hôpital public que sont le diagnostic, le soin, l’enseignement et la recherche, le Congrès rappelle la nécessité de rompre avec la logique d’enveloppe fermée, revendique l’arrêt des plans de retour à l’équilibre et l’effacement de la dette des hôpitaux. Il exige la juste reconnaissance des établissements de santé – hôpitaux publics mais aussi établissements sanitaires et sociaux et médico-sociaux comme les E.H.P.A.D. et U.G.E.C.A.M. – ainsi qu’un renforcement des moyens et les recrutements nécessaires pour assurer une prise en charge de qualité ».

Or il n’y a aucune remise en cause des A.R.S., ni de l’enveloppe fermée, ni de la tarification à l’acte dans l’accord Ségur. Car les signataires ne sont pas venus avec leur plan de revendications (c’est-à- dire la Résolution ci-dessus, pour F.O.) : ils ont « accompagné » le texte gouvernemental ! Ils n’ont pas exigé, comme préalable, l’abandon définitif de la gestion à fiux tendus de l’hôpital public.

Alors que la revendication salariale minimale était de 300€ (ce qui correspond au différentiel constaté par l’O.C.D.E. entre le salaire moyen infirmier en France et le salaire moyen infirmier dans le reste de l’Union européenne), ils ont accepté la proposition du gouvernement : 183€ ! 183€ non intégrés dans le salaire, car c’est une notification de bonification indiciaire donnée en deux fois ! Comme ce n’est pas sur la grille de salaire, seuls certains ont pu l’avoir, alors que sur la grille de salaire, tous auraient eu une vraie augmentation… Astucieux, non ? Comment peut-on accepter ce tour de passe-passe mesquin pour celles et ceux présentés comme les « Héros de la Nation » (ça ne mange pas de pain !) pendant le confinement ?

Bien sûr, le 10 juillet 2020 la C.F.D.T. se félicite : « Ségur de la santé : la CFDT signe un accord historique pour les personnels soignants et accompagnants » :

« Nous pouvons être fiers de ce qui a été obtenu. Quand on est syndicaliste, quand on s’est battu, on s’engage là-dessus », proclame Laurent Berger (https://cfdt.fr/portail/actualites/fonctions-publiques/segur-de-la-sante-la-cfdt-signe-un-accord-historique-pour-lespersonnels-soignants-et-accompagnants-srv2_1127642).

Et à F.O., aussi, il faudrait se féliciter des 183€ ? Alors qu’en octobre, on apprend que les syndicats allemands, avec des soignants mieux rémunérés qu’en France, ont obtenu, dans le cadre de la convention collective du secteur public, une hausse de salaire de 8,7 % pour le personnel soignant avec des primes spéciales coronavirus, entre 225 et 600 euros. C’est dire l’insuffisance des 183€ !

Suivant sa règle antisyndicale, le gouvernement, fort de la signature C.F.D.T.-U.N.S.A.-F.O., en profite pour mépriser malades et soignants. Ainsi du décret du 29 août (n°2020-1098) qui modifie, au 1er septembre, les critères pour les « salariés vulnérables », refusant « l’activité partielle » aux salariés vivant avec une personne vulnérable, parents d’enfants handicapés et « aidants ». Les coupes budgétaires font f de la santé et du handicap ! Le décret n°2020-1106 du 3 septembre 2020, signé O.Véran, permet de licencier les hospitaliers, supprimant la garantie d’emploi.

Dans ce contexte, la position du C.C.N. de F.O. des 23 et 24 septembre est plus que singulière : « Le C.C.N. conteste les modalités de l’attribution d’une « prime Covid » d’un montant variable attribuée à certains personnels sans concertation avec les organisations syndicales représentatives des personnels ». Le C.C.N. liste l’ensemble des professions de santé exclues du Ségur et « soutient les Fédérations qui continuent de revendiquer » pour mettre un terme à leur exclusion… Alors pourquoi et de quel droit la Confédération Force Ouvrière a-t-elle pu signer un plan aussi manifestement critiquable et insuffisant ? D’autant qu’en octobre, le premier ministre Castex, refusera d’investir dans les lits de réanimation qui ne sont que 5.000 en France et 28.000 en Allemagne. Encore une fois, le respect du mandat ne pouvait conduire qu’à revendiquer sur le programme de F.O. et non pas à prétendre, à l’imitation de la C.F.D.T., que ce que le gouvernement a accordé, tout en maintenant son plan Santé 2022 et les fiux tendus, est une victoire du syndicalisme. C’est soutenir un gouvernement à la dérive, après son échec aux municipales et qu’il fallait combattre.

7 – TÉLÉTRAVAIL, EXONÉRATION DE CHARGES, ET ACCORD DE BRANCHE « LE CAS ÉCHÉANT »

Pour ce qui concerne l’A.N.I. du 26 novembre 2020 sur le télétravail, il part d’un diagnostic suite à des rencontres entre « partenaires sociaux » (c’est le terme) et il est dit : « Les conclusions de ce diagnostic ont reçu un avis favorable de la C.F.D.T., C.F.E.-C.G.C., F.O. d’une part, et du Medef, C.P.M.E. et U.2.P. d’autre part ».

Ce qui pose, a priori, un problème pour le syndicalisme de la Charte d’Amiens : il ne s’agit pas de partager un diagnostic avec le Patronat, mais d’apporter ses propres revendications et de les confronter à celles du Patronat. Si la discussion a pour préalable un « diagnostic partagé », nous sommes, a priori, dans une logique d’intégration des syndicats de salariés sur le terrain du Patronat, comme si les antagonismes de classe n’existaient pas. Le confinement et la pandémie ont bon dos, puisqu’il y a eu déjà l’A.N.I. de 2005 sur le télétravail et que le texte du 26 novembre précise qu’il s’agit aussi « des articles L1222-9 et suivants du Code du travail, modifiés par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 ». Donc F.O. serait, à nouveau d’accord avec les Ordonnances Macron de 2017 ?

Le cadre précisé (point 2) est le suivant : « Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe ». Mais pourquoi pas un accord de branche qui s’impose dans la branche et exclut « la charte de l’employeur » avec un comité réduit à donner son « avis » ? F.O. ne peut signer un texte laissant les mains libres au Patronat, tout en validant le C.S.E. et la liquidation des I.R.P. Signer ce texte c’est valider la casse sociale pratiquée par le gouvernement Macron. Laquelle est confirmé en 2.2 de l’accord : « Les signataires du présent accord insistent sur l’importance de faire de la mise en place du télétravail un thème de dialogue social et de négociation au niveau de l’entreprise, et, le cas échéant, au niveau de la branche professionnelle ». Donc plus de revendications de classe, mais « un thème de dialogue social ». Et on comprend que cela revient à tout ramener à l’entreprise; l’accord collectif de travail au niveau de la branche étant marginalisé, « le cas échéant ». Ce qui est l’application de l’article 2 de la loi Travail de 2016, basé sur la liquidation de la loi du 24 juin 1936, mettant en place le principe de faveur, soit l’égalité devant la loi.

Comme F.O. a milité pendant des mois, en 2016, contre cette destruction infâme du principe de faveur, -mise en place par le Front populaire -, par le gouvernement Valls-Hollande, il est impossible, en 2020 que F.O. appose sa signature à l’A.N.I. sur le télétravail ainsi conçu. Ajoutons qu’en $3.1.5, sur la « prise en charge des frais professionnels » par le patron, il est indiqué : « L’allocation forfaitaire versée, le cas échéant, par l’employeur pour rembourser ce dernier est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite des seuils prévus par la loi ». Il va de soi que la C.F.D.T., « partenaire social » et adepte du « diagnostic partagé » avec le patronat depuis des lustres, se félicite de l’A.N.I. : « Il ne s’agit pas d’un guide de bonnes pratiques et cet accord donne des repères que les employeurs, les salariés et leurs représentants attendent depuis plusieurs mois », explique Catherine Pinchaut, Secrétaire nationale et cheffe de la délégation C.F.D.T. Selon la logique propre au corporatisme, il s’agit de se vanter non pas de la qualité de l’accord et des avantages acquis, mais de ce que l’on a évité le pire : « Des reculs ont été évités sur deux sujets majeurs : les questions de sécurité et d’accidents du travail restent de la responsabilité des employeurs; le dialogue social en cas de circonstances exceptionnelles ne sera pas évincé ». (https://www.cfdt.fr/portail/actualites/vie-au-travail/negociation-teletravail-enfin-unaccord-srv1_1148001).

Mais quelle misère de lire la même idéologie pour le Secrétaire général de F.O. : « Si le télétravail massif exceptionnel mis en place au printemps dernier a remis la question sur la table, les organisations patronales sont entrées à reculons dans les discussions. Elles ont été contraintes et forcées à négocier par l’environnement et la persévérance surtout de F.O. », a ajouté Yves Veyrier. « Si les organisations patronales ont dès le départ voulu imposer un texte qui ne soit ni normatif, ni prescriptif », Yves Veyrier a rappelé « qu’un A.N.I., par essence, porte une valeur normative ». (https://www.force-ouvriere.fr/negociation-fo-signe-l-accord-national-interpro-sur-le). C’est la logique de la C.F.D.T. pour laquelle les syndicats auraient réussi à forcer le Patronat à signer, alors qu’ils ont imposé leur cadre ! Le texte suscité de la C.F.D.T. invente, comme Veyrier que : « Les derniers jours ont été essentiels pour forcer la main du Patronat. Rien n’était moins sûr que cet accord dont les employeurs ne voulaient pas ». Dans le même esprit sur le caractère « non normatif », imposé par le Patronat à des Confédérations complaisantes (comment signer un texte non normatif et prescriptif ?), la C.F.D.T. déclare : « Au-delà de ces déclarations sur le caractère « non normatif ni prescriptif » de l’accord, c’est son contenu qui compte et apportera de nouveaux droits aux salariés ».

Tout de même, le Patronat avec le rapport T. Breton de 1994 (remis à Balladur), et le rapport Mettling de 2016 (remis à Hollande), est le promoteur historique du télétravail, en lequel il voit la possibilité d’individualiser le contrat de travail et de revenir (vieille lune demandée, en son temps, par Seillière, dirigeant du Medef) au travail à la tâche. Nul ne l’ignore. Donc, ou bien il y a des acquis pour les salariés et c’est collectif, prescriptif et normatif et on peut signer. Ou ce n’est pas normatif et il y a un renvoi à l’entreprise hors du cadre collectif, sans acquis majeurs, mais comme le dit la C.F.D.T. des « repères »… Et alors on ne signe pas.

Qu’est-ce que la Confédération F.O. est allée faire dans cette galère qui valide la loi Travail et les Ordonnances Macron ? Jouer le jeu des « partenaires sociaux », intégrés à l’appareil et qui pratique, en amont d’une négociation, le « diagnostic partagé », avec Patronat et gouvernement ? Cette pratique, courante à la C.F.D.T., se nomme, à F.O., une trahison de ses statuts, ses résolutions, son programme, et le mandat.

8 – LA LOI SUR LA « SÉCURITÉ GLOBALE »

Le 19 novembre 2020, la C.E. de F.O. prend position : « La Commission Exécutive dénonce dans le même temps la propension du gouvernement à recourir à des mesures d’exception, notamment avec la prorogation de l’état d’urgence sanitaire qui donne tout pouvoir au gouvernement pour restreindre de façon stricte la circulation, les réunions de tous ordres. La limitation des libertés individuelles et collectives conduit de fait à entraver sérieusement l’action syndicale, pourtant essentielle tant pour la santé des travailleurs que l’emploi et le pouvoir d’achat. F.O. conteste plus particulièrement les dispositions autorisant le gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure permettant de rétablir la possibilité de déroger, de façon unilatérale de la part des employeurs, en matière de jours de repos, de durée du travail, de repos hebdomadaire, de travail dominical. Alors que le débat au parlement de la proposition de loi « relative à la sécurité globale » vient de débuter, F.O. condamne cette proposition ».

Tout ceci est bel et bon. Mais cela pose un problème : comment signer le Ségur ou l’A.N.I. sur le télétravail avec un gouvernement qui ne vise qu’à « entraver sérieusement l’action syndicale » et entend avec la loi « sécurité globale » généraliser les pouvoirs pour la police municipale, sans logique nationale, surveiller par drone (article 22) et remettre en cause le droit de manifester et d’en rendre compte pour les journalistes (article 24) ? Au demeurant, dans un communiqué du 19 novembre, la C.F.D.T. elle-même déclare : « Il ne faut pas prendre le moindre risque avec la préservation des droits fondamentaux comme la liberté de la presse. Un risque souligné par la défenseure des droits début novembre. La C.F.D.T. appelle le gouvernement et les parlementaires à retirer l’article 24, à revoir rapidement leur copie et à assumer leur responsabilité ».

Sauf que le 17 novembre, Veyrier, Secrétaire général de FO, prend une position personnelle, qui se termine ainsi : « F.O. alerte aussi sur les risques de transfert de compétences régaliennes aux policiers municipaux et agents de sécurité privée, ou encore sur l’utilisation de drones qui pourrait conduire à la surveillance de la population et à la mise en cause de la liberté d’aller et venir ou de manifestation. Que, sur un tel sujet, le gouvernement s’appuie sur une proposition de loi et utilise une procédure accélérée à l’Assemblée nationale, au risque de priver le parlement et la société d’un débat sur l’impact des mesures qu’elle contient, que ni la C.N.C.D.H., ni la C.N.I.L. ne soient consultées au préalable, ne peuvent qu’interroger, susciter des craintes et réserves à tout le moins ». En clair, il ne dit pas qu’il « condamne » cette loi, comme le fait, la C.E., et ne revendique rien (pas même la suppression de l’article 24 !), pour ne faire part que d’états d’âme « à tout le moins ». Alors que le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies a condamné la loi ! Rien. Et il n’y aura pas de communiqué commun des appareils syndicaux pour condamner la loi « Sécurité globale » et en exiger le retrait (non, ça c’était seulement contre les Gilets-jaunes !).

Du coup, le gouvernement Macron, comme à l’habitude va encore plus loin dans la casse sociale et démocratique. Il applique sa règle : à chaque acte d’allégeance syndicale, un décret ou une loi antisociale et antidémocratique. Cette fois, le 8 décembre, Veyrier écrit à la Ministre du Travail, pour critiquer le décret 2020-1511 du 2 décembre 2020 : « Vous comprendrez, Madame la Ministre, notre incompréhension tant sur le fond – pouvant laisser à penser que le simple fait d’être adhérent d’un syndicat, ou d’être un syndicat puisse être rattaché à l’objet de ces articles et justifier un tel fichage – que sur la forme (alors que nous avons des réunions d’informations très régulières, dans le contexte de la pandémie de Covid19, donnant lieu elle-même à des restrictions en matière de libertés publiques, nous découvrons, par les médias, ce décret sans avoir même été informés au préalable). J’attire en outre votre attention sur le fait que ces dispositions pourraient être susceptibles d’être considérées comme portant atteinte au principe de la liberté syndicale reconnue par les textes européens et internationaux. Je vous demande en conséquence d’intervenir afin que ce décret puisse être suspendu et retiré sur ces aspects ».

Tout ceci est vrai. Sauf que ce décret ouvertement anti-syndical, pris en plein confinement et sans droit de manifester, c’est le résultat de trois ans de collaboration avec le gouvernement Macron. Il est sans doute loisible, comme pour la loi Sécurité globale, d’en appeler aux textes internationaux que le pouvoir politique en France ignore, faute de rapport de force pour le contrer et le déconsidérer. Mais plus l’allégeance au pouvoir est forte, plus ce dernier poursuit la liquidation sociale.

En interne à F.O., on observe néanmoins un distinguo entre la C.E. qui condamne la loi et le Secrétaire général qui se limite à faire part de ses inquiétudes. Ce n’est pas la même chose et le courrier du 8 décembre est insuffisant. Mais personne ne veut tirer la conséquence de ce distinguo, à ce jour. Elle est pourtant évidente.

Pour le décret, le gouvernement se moque de F.O., se tourne vers le Conseil d’État qui va valider le décret, pour l’essentiel. Car il ne fallait pas pactiser pour être convaincant et légitime dans la contestation et la revendication.

Voilà le salaire que le gouvernement et le Patronat octroient à ceux qui ne respectent pas leur mandat historique et social.

Ce sont des adversaires, et avec eux, pas de « diagnostic partagé » et pas de « partenaires sociaux ». Car leur réponse, c’est la loi du 23 mars, la loi Sécurité globale, le décret du 2 décembre 2020.

Car la lutte des classes existe et, eux, ils la pratiquent !

9 – LA CHASSE AUX SORCIÈRES, DES MÉTHODES JAMAIS VUES À F.O.

Encore faut-il qu’en interne à F.O., ne se surajoute pas la « chasse aux sorcières », pratique inconnue à F.O. contre un groupe entier de militants anarchosyndicalistes, lesquels se sont vus interdits d’accès à leur propre U.D., celle du Finistère, interdits d’accès à la réunion nationale de l’A.F.O.C. du 3 novembre 2020.

Alors pourquoi ?

Parce qu’ils étaient et sont toujours opposés aux Ordonnances Macron et qu’ils n’ont pas participé à la « sainte alliance » d’octobre 2018 pour éjecter Pavageau.

Parce qu’ils continuent à dénoncer la dérive actuelle du Secrétaire général vers le syndicalisme d’accompagnement.

En un mot parce qu’ils respectent et pratiquent la Charte d’Amiens.

Pour se limiter à l’aspect public de l’affaire, lors du dernier C.C.N. de septembre, un représentant de l’U.D. du Finistère nouvelle manière (sans les anars qui l’administraient depuis des décennies) a pu déclarer publiquement : « Le bureau actuel a très rapidement viré une organisation politique, une organisation d’opinion sur la religion et une organisation philosophique qui parasitaient ouvertement leur Union Départementale ». (Déclaration reprise dans le journal de l’U.D.-F.O.-29, n°29). C’est sans vergogne qu’est revendiquée l’exclusion d’un groupe entier (traités dans la même intervention d’« ayatollahs »), l’intervention s’achevant en dénonçant ces « grands prophètes d’un intégrisme syndical ». Donc plus de prétexte à s’en prendre à un militant seul, mais, devant le C.C.N., on enlève le masque : il s’agit bien de « virer » un « groupe » et pour ses opinions. De telles pratiques sont contraires à la Charte d’Amiens, aux Statuts de F.O. et à toute son histoire.

D’ailleurs le très regretté Louis Blanc raconte dans ses Mémoires : « Et on avait affaire à un type qui, dans ce domaine, savait y faire, Bergeron. Quand il y avait un problème, il convoquait Alexandre, Pierrot Lambert et moi. Il demandait nos avis respectifs. Il se débrouillait de manière à ce que cela évite la pagaille au C.C.N. C’était méritant de sa part, car il agissait vraiment pour l’organisation syndicale ». (Militant pour la justice sociale et la liberté – Mémoires, Louis Blanc avec Gérard da Silva, L’Harmattan, p.159). Il n’est jamais venu à l’esprit de Bergeron (pas plus que de Bothereau et de Blondel) de mener la chasse aux sorcières anarchosyndicalistes ou trotskystes, au prétexte que ces militants s’opposaient ouvertement à la ligne confédérale.

Pourquoi le C.C.N., qui connaît ses classiques, a-t-il laissé dire et, par là même, valider qu’on puisse « virer » tout un groupe, au prétexte que ce ne sont pas des « béni-oui-oui ». C’est toute une dérive qui gangrène F.O., de la trahison du mandat à la chasse aux sorcières, les militants et militantes qui défendent, (et qui, pour beaucoup l’ont appris avec Marc Blondel), le syndicalisme libre et indépendant, celui de la Charte d’Amiens.

La morale de l’histoire est simple. Le pouvoir politique, allié du Patronat, veut liquider les organisations syndicales de salariés et tout renvoyer dans l’entreprise au bon vouloir patronal. D’où les lois de 2008 sur la représentativité, de 2015 (Rebsamem), loi Travail (renvoi à l’entreprise et plus de principe de faveur), ordonnances Macron, loi « anti-Gilets-jaunes » qui remet en cause le droit de manifester, loi Sécurité globale, décret de fichage syndical du 2 décembre…On peut constater, à chaque fois, que toutes les tentatives d’allégeance au pouvoir sont comprises, comme l’occasion de confirmer qu’il n’y aura pas de prise en compte des revendications du monde du travail et pour enfoncer le clou par des lois antisociales et anti-syndicales. Tel est le cadre, qui est celui de la lutte des classes

C’est pourquoi il faut mettre un terme à l’allégeance et au syndicalisme d’accompagnement, qui est le syndicalisme de reniement. Ça ne sert à rien et c’est disparaître dans le déshonneur, en sus. Il est sans nul doute préférable de reprendre la lutte, puisque lutte il y a, et de gagner en respect vis-à-vis du pouvoir gouvernemental et patronal comme, et c’est fondamental, vis-à-vis des travailleurs.

Et là, outre que l’on évite le déshonneur, on peut créer des rapports de force et gagner sur son propre programme. C’est arrivé dans le passé et dans des conditions pas meilleures qu’aujourd’hui. Il faut en revenir à la juste lutte pour les « jours heureux » (titre du programme de la Résistance). C’est le rôle de la C.E. et du C.C.N., comme de l’ensemble des militants.

CONCLUSION PRATIQUE

Avant qu’il ne soit trop tard :

  1. Retour aux fondamentaux, aux Statuts, aux Résolutions confédérales, au respect du mandat, retour au syndicalisme de la Charte d’Amiens avec son programme de classe d’émancipation des travailleuses et travailleurs comme base revendicative.
    Le programme du Medef : « la main invisible du marché », date de 1776. Nous de 1895 et 1906 !
  2. Indépendance et liberté, c’est-à-dire plus de « diagnostic partagé » avec Patronat, gouvernement, C.F.D.T., mais notre propre programme. Plus jamais à la remorque de la C.F.DT., mais appliquer le Préambule des Statuts.
  3. Demande d’abrogation des lois et décrets liberticides et anti-syndicaux, qui ont été fortement aggravés avec la loi de 2008 sur la « représentativité » (laquelle est une insulte à la Résistance comme à son programme), jusqu’au décret du 2 décembre. Il y a du « grain à moudre », y compris au plan légal.
  4. Retrait de la signature de F.O. des textes antisociaux issus des Ordonnances Macron avec l’A.N.I. de mai 2019, l’A.N.I. de novembre 2020, et le Ségur. Sinon c’est, à chaque fois, le coup de bâton gouvernemental qui suit chaque trahison, comme le décret anti-syndical du 2 décembre 2020.
  5. Annulation des communiqués « d’union sacrée » entre appareils syndicaux comme avec le Medef ou pour l’U.E. Toutes ces orientations auraient dû et doivent être respectées, défendues, à nouveau, comme depuis des décennies, par C.E. et C.C.N. Et les militants s’y retrouveront. Ce n’est plus le cas.
  6. Revoir le financement interne qui doit être pour l’action militante d’abord !
  7. Démocratie interne restaurée à F.O., avec cessation de toute chasse aux sorcières

Tout ceci est possible : nous l’avons toutes et tous pratiqué à F.O. durant des décennies et c’est, l’honneur et la nécessité historique de Force Ouvrière.

Et c’est respecter le combat des militants et militantes qui nous ont précédés, qui ont conquis les acquis que nous n’avons aucun droit de brader.

C’est maintenir le juste combat pour l’émancipation humaine.

L’Union des Anarcho-Syndicalistes,
et des militants F.O. défenseurs de la Charte d’Amiens
17 janvier 2021

L’Anarcho-Syndicaliste supplément du n° 222 – Février 2021

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