L’Anarcho-Syndicaliste supplément du n° 222 – Février 2021

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Supplément du N° 222 – Janvier 2021

Accepter le plan du Medef,
c’est programmer la liquidation de la CGT-FO


Editorial

Le gouvernement persiste à poursuivre sa politique de destruction des acquis sociaux, c’est pourquoi nous lançons cette alerte sur le nouveau projet du Medef : le « Diagnostic partagé ».

Nous avons transmis nos analyses à tous les membres de la Commission Exécutive confédérale et son bureau. Nous alertons également les membres du Comité Confédéral National de Force-Ouvrière, composée de tous les Secrétaires Généraux des unions départementales et des fédérations nationales. Ils seront ainsi, à même, de prendre les décisions nécessaires pour protéger l’ensemble des travailleurs et l’avenir des organisations syndicales, dont Force-Ouvrière.

Accepter le plan du Medef, c’est programmer la liquidation de la CGT-FO

Les Échos du 18 février 2021 annonce: « Geoffroy Roux de Bézieux vient de proposer aux leaders syndicaux et à ses homologues patronaux dans un courrier daté du 16 février ». De fait, par courrier du 16 février 2021, le Medef, syndicat patronal, se prévalant de la « pandémie », entend imposer un « agenda » aux organisations syndicales de salariés. Il donne le cadre, il s’agirait «d’engager ensemble un chantier sur toute une série de sujets concrets ». Le courrier donne l’accord Ségur sur la santé et l’accord sur le télétravail comme de bons exemples à suivre. Puis le document du Medef liste huit points : sur la formation professionnelle, les prud’hommes, la gestion de la branche Accidents du Travail et Maladies Professionnelles (ATMP), sur l’Accord National Interprofessionnel (ANI) modernisation du paritarisme du 17 février 2012, ANI protection sociale du 8 juillet 2009, promouvoir « la mobilité sociale dans le monde professionnel », enfin sur l’intelligence artificielle et emploi, transition climatique et énergétique dans l’entreprise.

Que le Medef prenne ce genre d’initiative se comprend dans une situation qui lui est favorable, avec un gouvernement pour la défense des 1% les plus riches et ayant imposé par les ordonnances de 2017 une liquidation de pans majeurs du Code du Travail.

Et puis le Medef peut se prévaloir de l’accord d’ « union sacrée » du 19 mars 2020, par lequel les organisations syndicales, aussi bien C.G.T., C.F.D.T. que Force Ouvrière, signaient avec le Medef un texte commun, par lequel : « elles entendent ainsi affirmer le rôle essentiel du dialogue social et de la négociation collective. Elles appellent les pouvoirs publics et les entreprises à mettre en œuvre tous les moyens indispensables à la protection de la santé et de la sécurité des salariés devant travailler. ». Ce texte d’allégeance aux pouvoirs publics et aux entreprises devait se traduire, on s’en souvient, par la loi du 23 mars remettant en cause, au prétexte toujours de pandémie, la prise de congés payés et la semaine hebdomadaire de travail.

Le « diagnostic partagé », ce sont les « fondamentaux » du Medef

Dans la logique du Medef, c’est continuer dans la même direction en prenant carrément l’initiative d’imposer son cadre de négociation avec la méthode qui tient en un mot, récurrent dans le courrier du 16 février: « diagnostiquer », et point 3, par le « diagnostic partagé ». Le Medef est en pointe de la casse sociale et syndicale en menant campagne pour sa loi Travail, ordonnances Macron et retraite par points ! Les syndicalistes sont des benêts amnésiques !

En 2017, le Medef a publié une brochure pour une « nouvelle méthode pour piloter la réforme de l’État »… Il faudrait (p.26) « Viser une inversion de la tendance des effectifs publics afin de maîtriser l’évolution de la masse salariale des trois fonctions publiques (283,6 mds €, y compris retraites, en 2016). Il faudra cibler les baisses d’effectifs en fonction des besoins prioritaires et des gains de productivité ». Pour parvenir à cette baisse programmée des effectifs, il faut « Réformer en profondeur le statut de la Fonction publique, et le réserver aux seules fonctions régaliennes. Rééquilibrer la mixité dans la Fonction publique entre statutaires et contractuels. » (p.27).

L’objectif est la casse de la Fonction publique. On reconnaît l’idéologie de l’extrême droite libérale, de l’ultra-libéralisme de l’école de Chicago, pour laquelle tout doit être privatisé, y compris les fonctions prétendument régaliennes, militaires et policières. Il est précisé (p.30) : « Sélectionner et identifier, préalablement, les priorités en termes de dépenses. Ensuite, adopter une démarche globale et une programmation sérieuse de la réduction des dépenses. ». C’est le diagnostic du Medef pour la Fonction Publique ! Et il faudrait faire du diagnostic « partagé » ?

En fait, la pratique du diagnostic partagé, pour le Medef, nécessite l’accord des organisations syndicales de salariés comme c’est le cas pour les tenants du corporatisme chrétien : la C.F.T.C. et la C.F.D.T.

Le dernier exemple en date de cette pratique est l’accord du 26 novembre 2020 sur le télétravail, consécutif à l’ANI de 2005 sur le télétravail. Dans cet accord on lit le point 2 : « Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe. »

Signer ce texte est impossible pour Force Ouvrière, car l’accord de branche n’y est plus que résiduel alors que F.O. a lutté durant des mois, en 2016, contre la loi Travail, dont l’article 2 liquidait le principe de faveur, pour privilégier les accords d’entreprise. Or on lit dans l’accord sur le télétravail (2.2): « Les signataires du présent accord insistent sur l’importance de faire de la mise en place du télétravail un thème de dialogue social et de négociation au niveau de l’entreprise, et, le cas échéant, au niveau de la branche professionnelle. »

Le mandat des congrès de la C.G.T.-F.O. et tout particulièrement le dernier en date, celui de Lille en 2018, interdit et condamne les accords qui valident la suppression de la hiérarchie des normes. L’on ne peut en 2020, sans trahir le mandat, être pour un accord de branche assorti d’une « charte élaborée par l’employeur » avec une référence à la branche qui n’est plus que marginale, « le cas échéant ». Et pourtant la confédération F.O. a signé, le 26 novembre, un texte contraire à tous ses engagements. Signer ce texte c’est « bouffer le mandat » trahir les 95 % des congressistes de Lille.

Signer ce texte c’est clairement se positionner pour le syndicalisme d’accompagnement, de collaboration : le syndicalisme ne serait plus là pour porter les revendications des travailleurs mais leur expliquer, comment accepter le joug du Patronat, de la Finance. C’est passer du syndicalisme de la « pratique contractuelle » à celle de l’élaboration d’une « politique contractuelle ». Le vocabulaire change, mais un diagnostic c’est d’un débat d’experts, le résultat final est toujours le même : on « diagnostique » comme les patrons, avec les patrons, car l’idéologie du « diagnostic » est patronale. C’est accepter l’idéologie selon laquelle il n’y a pas d’antagonisme de classe, d’intérêts divergents, d’exploitation dans l’entreprise, mais seulement des « thèmes ». Lorsque qu’un syndicat quitte la revendication, il collabore, les faits sont têtus et le MEDEF, lui, le sait.

À preuve, le Medef Paris vient de sortir un « Guide du télétravail », où est affirmé (p.8) : « en tout état de cause, les points fondamentaux pour le Medef dans cette négociation sont respectés. » Ce qui vaut pour l’accord sur le télétravail, vaut pour la proposition du MEDEF du 16 février 2021 et ses huit thèmes : que soient respectés les « points fondamentaux du Medef » !!!.

La comédie du dialogue social se comprend exclusivement du point de vue du patronat et du point de vue du corporatisme de la C.F.D.T. et de la C.F.T.C., intégrés dans l’appareil d’État comme « partenaires sociaux ». Il en est ainsi depuis plus d’un siècle … Ce n’est pas une surprise que la C.F.D.T. ait été pour le plan Juppé en 1995, la contre-réforme des retraites en 2003 et 2010, la loi Travail en 2016, les ordonnances Macron en 2017, puis pour la retraite par points, le Ségur et l’accord sur le télétravail, etc.

2007 : Mailly « Nous ne sommes pas pour les diagnostics partagés »

Force Ouvrière, qui était à l’origine de la mobilisation contre le plan Juppé, contre toutes les contre-réformes sur les retraites, la loi Travail, les ordonnances Macron (l’aval de Mailly ayant été retoqué par le C.C.N. de septembre 2017) et enfin la retraite par points, ne peut en aucun cas entrer dans cette thématique du Medef. F.O. a toujours été contre le « diagnostic partagé » dans tous les domaines. C’est ce qu’affirmait Mailly devant le congrès confédéral de Lille de 2007 : « Nous ne sommes pas pour les diagnostics partagés en cette matière comme dans d’autres. » (p.24 du compte rendu). Cette orientation est une dérive étrangère à F.O., contraire à ses statuts et à son histoire. Elle est contraire au mandat du secrétaire général de F.O..

Depuis que Veyrier est secrétaire général, les signatures de la décote à 64 ans, du Ségur, de l’accord sur le télétravail, vont dans le mauvais sens, celui du corporatisme de la C.F.D.T.. La seule différence, par rapport à 2017, c’est que le C.C.N., qui s’était valablement opposé à Mailly en septembre 2017, a , depuis, gardé le silence et failli à son mandat, selon le principe : « qui ne dit mot consent ».

Désormais les instances de F.O., Commission Exécutive et Comité Confédéral National, sont au pied du mur: se taire? Ne pas condamner l’acceptation de la proposition du Medef ? Engager ainsi la liquidation de la C.G.T.-F.O. ? Ce serait, aussi …. précipiter le départ des militants de F.O. ne se reconnaissant plus dans une organisation à la botte du patronat. Le syndicalisme de revendication ne peut pas coïncider, par un diagnostic, avec le patronat. F.O. ne peut pas se déterminer dans l’agenda social du patronat, avec les huit points voulus pour le patronat et tout ça pour « diagnostiquer » avec le patronat, en toute indépendance avec le patronat.

18 février 2021 : Veyrier avec le Medef est hors de son mandat de secrétaire général

Par courrier du 18 février (courrier qui circule à F.O., puisqu’il a été demandé à contacter les « secteurs respectifs »), Veyrier a donné, sans nulle concertation préalable, le cadre suivant, favorable au Medef : « Vous trouverez ci-joint le courrier que nous avons reçu du Medef, proposant un agenda social et économique autonome. Cette démarche s’inscrit dans celle que la Confédération soutient depuis plusieurs mois et bien plus longtemps encore si on l’associe à notre attachement à la pratique contractuelle et au paritarisme… je demande à chacune et chacun de vous, au vu de vos secteurs respectifs, de me faire parvenir une note synthétique commentant les sujets proposés par le Medef et suggérant éventuellement des sujets non évoqués et pour lesquels nous avons d’ores et déjà fait des propositions ou dont nous souhaitons qu’ils fassent l’objet de discussions. »

Veyrier sait que ce qu’il propose est faux : cette démarche ne s’inscrit pas dans celle de la Confédération. Tout au contraire et Mailly, en 2007, contre le diagnostic partagé en est la preuve aujourd’hui, bien malgré lui ! Elle n’a connu que l’acceptation des ordonnances de Macron, sans mandat et contraire aux statuts comme à l’histoire de F.O.. Ce qui fut retoqué par le C.C.N. et effacé par le Congrès confédéral de F.O. d’avril 2018.

Bergeron : « la lutte des classes sera éternelle » et la vraie réponse au Medef

Historiquement, deux intérêts de classe s’opposent et, s’il est nécessaire de revendiquer, ce sont des revendications de classe qui s’imposent pour le syndicalisme libre et indépendant. André Bergeron n’a jamais eu l’image d’un révolutionnaire, ou alors très jeune. Mais c’était un syndicaliste respectant les statuts de la C.G.T.-F.O., ceux du syndicalisme libre et indépendant. Il l’a affirmé régulièrement. Ainsi lors du 12ème Congrès confédéral, tenu les 12 et 13 juin 1974, Bergeron, s’il défendait la pratique contractuelle, c’était pour affirmer que « la lutte des classes sera éternelle » et que « le jour où nous ne pourrons plus pratiquer la lutte des classes, c’est que le syndicalisme libre aura cesse d’exister. ». (p.168 du compte rendu). On ne saurait être plus clair et plus pertinent. Ce faisant, Bergeron ne faisait qu’être fidèle aux statuts de F.O., lesquels affirment « l’impérieuse nécessité, pour le syndicalisme, de se déterminer lui-même à l’endroit de tous problèmes de sa compétence dont il juge utile de se saisir ce qui implique qu’il ait la pleine maîtrise de sa structure, de son administration et de ses actes, sur le plan revendicatif et gestionnaire. ». Précisons que c’était sa réponse à Alexandre Hébert, un des fondateurs de l’Union des Anarcho-Syndicalistes.

Pour que F.O. redevienne un syndicat revendicatif et mettre un terme au corporatisme suicidaire

La réponse au Medef doit être, conforme aux statuts de Force Ouvrière : « l’organisation syndicale réalisera son programme et ses perspectives en toute indépendance.» Ce programme, le Plan social F.O. présenté par Bothereau en 1962, offre un modèle à adapter, à condition que la nature des relations entre groupes sociaux, elle, reste stable.

Le programme, à titre d’exemple, revendique :

— Défense et amélioration constante du pouvoir d’achat des travailleurs par tous les moyens;

— Réduction de la durée du travail sous toutes ses formes;

— Équitable répartition du revenu national :

— Respect des droits sociaux acquis par les salariés et extension de ces droits. 

Mais aussi :

— l’élévation continue des niveaux de vie par le développement de la consommation et des investissements productifs ;

— au développement harmonieux de l’économie, notamment par le contrôle ouvrier sur les investissements, la réforme de la fiscalité et de la distribution, la lutte contre la spéculation ;

— à la reconnaissance et du respect des droits économiques des travailleurs dans les entreprises, les branches professionnelles et les régions ;

— à la réforme des nationalisations, contre l’étatisation, par un retour aux règles de gestion socialisée définies par le mouvement syndical, règles assurant une réelle gestion tripartite …

Le plan prioritaire en huit thèmes du Medef, ne peut être opportun et très bénéficiaire qu’au Medef. Le syndicalisme libre et indépendant doit rester la priorité absolue de la C.G.T.-F.O. Il suffit de l’exprimer et de l’opposer au Medef. C’est la réponse à faire au Medef. La négociation collective ne peut commencer qu’après que le rapport de force soit établi.

Or la demande de Veyrier « de me faire parvenir une note synthétique commentant les sujets proposés par le Medef », c’est une allégeance au Medef, c’est oser imposer aux militants de se soumettre dans le cadre dicté par le patronat. Rien à voir avec F.O. Rien à voir avec les statuts. Rien à voir avec la Charte d’Amiens. Il suffit de demander une note synthétique sur les revendications centrales que portent les militants et militantes dans les entreprises. Il suffit d’en faire un plan en thèmes sociaux majeurs.

La Commission Exécutive, tout comme le C.C.N., ont l’obligation absolue de faire respecter « le mandat, le mandat, le mandat ».

Désavouer cette dérive vers le corporatisme intégré que prône Veyrier est impératif. Pour le C.C.N. et la C.E., le silence, complice ou pas, qui est pratiqué depuis fin 2018, doit cesser. Se prétendre « révolutionnaires», en principe, tout en maintenant une alliance contre-nature, depuis octobre 2018, à F.O., accepter le « diagnostic partagé » c’est de la collaboration de classe, c’est révolutionnaire, mais de quelle révolution parle-t-on ? Cette fois, il faut choisir !

Cette fois, c’est, publiquement, une logique de liquidateurs du syndicalisme libre qui est proposée par Veyrier. Et contre cette liquidation de F.O., contre cette marche en avant vers le corporatisme dans le déshonneur, plus question de plan de carrière dans l’appareil. Cela ne s’est que trop pratiqué, cela suffit en ne disant rien et en consentant à la dérive corporatiste, celle où F.O. signe désormais tout avec la C.F.D.T. et avec les arguments de la C.F.D.T.

Il faut choisir, cette fois il faut s’opposer publiquement, car cette démarche réactionnaire est, à très court terme, suicidaire pour la Confédération Force Ouvrière et prépare la dictature économique, politique et financière. C’est ce qui est engagé, dans un silence assourdissant, par le décret de flicage des syndicalistes du 2 décembre 2020, politique déterminée d’élimination des organisations syndicales, la peur des Gilets-jaunes radicalise et désinhibe les tenants du pouvoir. Plutôt que de courber l’échine devant le patronat, comme le propose Veyrier, il est temps de relever la tête et les poings, de stopper, de mettre un terme à la dérive actuelle, récente, hors mandat et hors statuts.

Le syndicalisme est révolutionnaire en lui-même !

Il est temps de reprendre, comme F.O. l’a toujours fait, le bon combat pour l’émancipation des travailleurs.

L’Union des Anarcho-Syndicalistes,
et des militants F.O. défenseurs de la Charte d’Amiens
17 janvier 2021

 

L’Anarcho-Syndicaliste n° 222 – Janvier 2021

 

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